BULLETIN 2004
ALLOCUTION DANTOINE-MARIE BERGERON
Retour au Trocadéro

Quand à la fin de l'an passé, nous choisîmes de commémorer le Bicentenaire de la naissance de Charles Auguste Guerry de Beauregard de Launay, nous étions persuadés qu'il s'agissait d'un sujet en or.

Pensez donc une personnalité hors du commun l'enfant du Retour, un adolescent modèle. Il fut admis dès l'âge de 13 ans par grâce royale à l'école de Saint Cyr. II s'y distingua par son talent de dessinateur en cartographie militaire, discipline alors en pleine expansion. Son excellente santé lui permit d'endurer l'été caniculaire de l'Andalousie. Il fut ensuite, armateur, architecte, styliste, exploitant d'un grand domaine agricole, promoteur de l'Instruction Publique et gratuite.

Il fut surtout un grand chrétien et un légitimiste intransigeant.

Mais Iorsqu'il nous fallut aborder le chapitre du Trocadéro, les difficultés commencèrent.

Tout d'abord, qu'évoque donc aujourd'hui ce toponyme un peu ridicule, sinon une station de métro parisien au pied de la colline de Chaillot avec un bassin tout de même assez grand pour avoir contenu il y a quelques semaines la proue d'un sous-marin de poche.
Qui donc se souvient, s'il n'habitait pas Paris avant sa destruction en 1937, de cette grosse rotonde boursouflée et de ses deux minarets, une énorme bâtisse moitié sorbetière et moitié autoclave? Elle servait de remise à un fatras de statues de plâtre et à un musée indochinois plein de petits bouddhas.
Un bon souvenir pourtant, celui d'un immense aquarium, la seule salle qui m'intéressait.
Le nom même de Trocadéro serait sans doute tombé dans l'oubli si les amateurs de skate et les rollers n'avaient élu l'esplanade comme lieu de leurs excentricités.

L'autre raison de notre appréhension était que l'expédition de 1823, on dirait maintenant une expédition sur un théatre d'opérations extérieures n'avait pas été loin de là, une tasse de thé pour les stratèges et les historiens.
Il nous faut chaleureusement remercier Hubert de Fougerolle qui nous permit d'étoffer notre dossier, en recherchant avec patience les rares textes qui traitent de cette affaire, en particulier l'assaut final. Nous vous citons cet intéressant passage:

Dans la nuit du 31 août, dix huit compagnies d'élite, commandées par les généraux Obert, Goujon et d'Escars, se forment en colonnes d'attaque, traversant le canal, s'approchent des retranchements dans un profond silence et s'y précipitent aux cris de "vive le roi ". On dormait dans les forts; les sentinelles surprises n'eurent pas même le temps de donner l'alarme et les artilleurs furent tués sur leurs places. Les Espagnols perdirent environ cinq cents hommes; notre perte ne fut que de trente cinq tués et cent dix blessés.
Le Fort Saint Louis opposa seul quelque résistance et les assaillants ne l'emportèrent qu'après un combat qui dura une heure environ.

Fin de la citation. Telle fut la bataille du Trocadéro.
Voilà donc une affaire promptement menée. Encore peut-on penser que du temps ait été perdu en raison de La mauvaise voIonté, pour ne pas dire plus, du contre amiral Duperré qui prétendit ne pas avoir compris à temps les signaux du Duc d'Angoulême qui lui ordonnait de forcer le passage de Puntalès en canonnant la batterie du Fort Saint Louis.
Notons que Duperré se comporta de façon semblable avec Bourmont, sept ans plus tard, au siège d'Alger.
On peut s'étonner que le commandement de la Royale ait été confié à ce personnage, connu pour ses opinions suspectes et aussi coupable de fautes graves. Quand, en 1813, il servait sous Bonaparte, il avait laissé les Anglais capturer une frégate - toute neuve - dans le port de Venise. Pour sa défense, il accusa les Vénitiens et s'apprêta - c'est lui qui l'affirme - à "réduire leur ville en un tas de cailloux". II n'en eut pas le temps. Et pour conclure, chacun sait qu'après 1830, Duperré prêta serment à Louis Philippe.

Revenons au Trocadéro, et donc à Charles Auguste, qui nous a heureusement laissé ses carnets de route et les lettres qu'il écrivait à sa mère,
Constance de la Rochejaquelein, alors châtelaine des Gals en Dompierre, si bien que nous avons pu décrire dans le Bulletin de Famille ce que fut le siège de Cadix, vu d'en bas de la hiérarchie, un peu - pardonnez notre impertinence - comme Julien Sorel (sous la plume de Stendhal) raconte la bataille de Waterloo.

Grâce à ces documents, nous sommes en mesure de peser les raisons de la démission de I'armée de notre aïeul.

Outre des motifs personnels, son marlage bien sûr, en 1826, il faut prendre en compte l'évolution de I'état d'esprit des jeunes officiers de sa génération, tous issus du même milieu, le regain du pacifisme après un quart de siècle de guerre, de massacre et de ruine, le peu d'enthouslasme pour des campagnes au delà des frontières, dans le but discutable d'une union européenne, alors baptisée la Sainte Alllance, la création de nouvelles activités pour les cadets de famille et la méflance d'un régime politique, soumis au résultat des élections et à l'humeur de la populace parisienne.
C'était déjà le début de ce qu'on appela plus tard l'émigration de l'intérieur.

Le Trocadéro fut l'avant dernière victoire incontestée de I'armée française. La dernière, en 1830, devait être la prise d'Alger en réalisation du vœu de Charles X : "Infirmer à jamais le péril barbaresque et rechristlaniser la Numidie de Saint Augustin". Le Roi prenait le relais des chevaliers de Saint Jean, puisque l'Ordre de Malte n'était plus là, son île ayant été violée par Bonaparte et volée par les Anglais.

La France, désormais, ne remporta plus, seule, aucune bataille, ne gagna plus, seule, aucune guerre, sans l'aide, chaque fois, d'alliés qui, comme on le sait, ne furent ni innocents ni désintéressés.

Charles Auguste nous a laissé la liste des 594 élèves officiers des promotions de Saint Cyr, de 1819 à 1821, dont il était, et qui participèrent à l'expédition d'Espagne. Nous avons comptabilisé les Vendéens, ses cousins, ses voisins et aussi ceux qui, par marlage devinrent des chefs de branche de notre famille. Nous en avons trouvé 63 - 63 sur 594 -

En voici quelques uns:
Mortemart, Beaurepaire, Marcellus, Jumilhac, Pimpant, Bourmont, Sujannet,
Quatrebarbes, Dreux Brezé, Kerever, Aubigny Vezin, Boissieu, Goyon-
Matignon, Damas, CrénoIle-Tonquédec, Guillebon, Massol, La Grandière,
Gesclin, Jacquelot, le Joly de Villiers, Buor et Colbert-Turgis.

Alors aujourd'hui, 180 ans après, nous pouvons dire: "en 1823, à Pampelune, à Madrid, au Trocadéro, à Cadiz, oui, nous y étions !"

Imaginez cela : Saint Sébastien le 15 mai, 100 000 hommes ont franchi les Pyrénées derrière le Duc d'Angoulême, derrière son maréchal de camp, Auguste de La Rochejaquelein, derrière les drapeaux fleur de lys de tous les régiments ; ils marchent, pour interdire l'accès du territoire espagnol, aux révolutionnaires apatrides qui ont rameuté une bande de furieux, les amis de Manuel, d'Armand Carrel et de Béranger, des demi-soldes, des députés libéraux, des frimassons et des journalistes parisiens qui crachent leur haine et hurlent leur chanson de sang et de mort.

Les chiens aboient, la caravane passe…

Et voilà les Vendéens, nos grands-pères, nos grands-oncles, d'une seule voix, comme en 1793, comme en 1815, qui entonnent l'hymne sacré de Saint Fortunat, premier évêque de Poitiers.

Vexilla Regis Prodeunt !
En avant ! Les étendards du Roi !