BULLETIN 2001

LES CROISADES ET LE PARDON DE BONCHAMPS

Le pardon est aujourd'hui d'actualité. En cette année jubilaire invitation nous est faite de pratiquer la clémence et la miséricorde.
Mais il y a le pardon que l'on donne et celui que l'on implore ; qu'on le demande à Dieu, c'est normal. Ce qui l'est moins, c'est qu'on supplie les représentants, les ayant droits, les descendants de gens à qui nos aïeux auraient causé préjudice et qu'on oublie de surcroît que ces gens-là, pour la plupart d'abominables gredins furent les agresseurs et nous les défenseurs, voire eux les vainqueurs et nous les vaincus.
Il est assurément plus aisé de jeter l'opprobre sur les autres que sur soi et les siens. S'il est un devoir de pardonner l'offense que nous avons subie, ce ne doit pas l'être quand elle est dirigée contre la famille, la patrie, le Prince légitime, la religion.
Cette année, pour jubilaire qu'elle soit, est pour nous bien pénitentielle ! A Rome, le carnaval terminé, nous avons assisté au grand numéro de la repentance. On s'inclina devant les infidèles, on leur lécha les pieds en expiation des crimes que la chrétienté aurait commis.
Les Croisades, le mot était lâché, ne furent-elles donc que des raids d'aventuriers sans scrupules ?
Voilà des pans de notre mémoire à effacer, des chapitres d'histoire à occulter, des Saints à rayer du calendrier, des statues à briser jusque dans nos églises. Le pape URBAIN II n'aurait été qu'un va-t-en guerre, Saint Bernard qu'un faux prophète et Saint Louis qu'un affreux raciste.
En 1096, quand Jérusalem fut libérée des occupants arabes, il y avait là bas nombre de chevaliers poitevins. Certains sont de nos ancêtres.
Souvenez-vous, mes cousins, qu'un du Vergier se croisa à la première croisade, qu'un autre était à Saint Jean d'Acre et un troisième à Damiette avec Saint Louis. Les coquilles Saint-Jacques du blason La ROCHEJACQUELEIN sont là pour rappeler que nous prîmes part aussi aux croisades espagnoles, contre les Maures, bien sûr, mais aussi contre les révolutionnaires. La prise du Trocadéro, en 1823, avec Auguste, c'était hier !
Alors, mes cousins, vous faudra-t-il battre votre coulpe et rougir de honte. Vous laisserez-vous traiter de suppôts de criminels de guerre ?
Il est temps de réagir. Il ne faut plus que les héritiers des vaincus soient les seuls à demander pardon, tandis que ceux des vainqueurs ne confessent pas même leurs crimes. Le jour doit venir où les successeurs des Jacobins feront enfin repentance à la Vendée.
Venons-en au "PARDON DE BONCHAMPS", un pardon qui n'était pas le premier car les Vendéens avaient déjà fait preuve de beaucoup de pitié envers les Bleus. Ainsi, après la prise de Thouars, celle de Saumur, et surtout à Chemillé le 11 avril 93 ; 400 patauds capturés, le Pater d'Elbée : "Pardonnez-nous, Seigneur, comme nous pardonnons à nos offenseurs". On les désarme, on les tond à ras. Ils promettent de ne plus combattre.
Mais cinq mois plus tard, le 18 octobre, à Saint Florent, ils sont là, les 400 parjures de Chemillé, sous de nouvelles tignasses, et avec eux 4000 autres qui tous ont déjà tué, massacré, violé, incendié, pillé...
Ils sont là, sur l'Esplanade de l'Abbatiale, transis de peur et de honte, devant les canons de Cesbron chargés à mitraille et leurs servants qui attendent, mèches allumées.
Mais en bas, dans la maison Duval, à quelques heures de sa mort, BONCHAMPS agonise, le bras droit en bouillie, le ventre ouvert, les entrailles à l'air, les jambes recroquevillées, les dents serrées sur un rictus de plomb. La vue et l'odeur sont insoutenables, même sa femme a fui cette horreur. De témoins ? Un chirurgien, peut-être un prêtre, l'Abbé MARTIN, et puis AUTICHAMP, le neveu qui passe à toute allure.
L'ordre a-t-il été donné ? Sinon, un gargouillis, un battement de paupières, pris pour compte, de bonne foi, par quelqu'un que cela arrangeait. Il n'y avait pas de temps à perdre...
AUTICHAMP porte l'ordre. Les Vendéens se figent, un silence de mort, puis la stupeur, ensuite la révolte. Mais, très vite, c'est l'accablement, la lassitude de tous, la résignation de ceux qui savent, et Henry est de ceux-là, ce que va coûter la campagne outre-Loire.
Mais si c'est vous, Monsieur de BONCHAMPS, qui l'avez donné, encore conscient, cet ordre, vous qui l'aviez voulue, cette virée de Galerne, qui l'aviez préparée en envoyant vos gens occuper Varades et Ingrandes, avez-vous vu dans cet éclair qui précède la mort, avez-vous vu ce qu'ils allaient faire, tous vos miraculés, les 4 ou 5000 Bleus, vite requinqués, bien décidés à se venger de leur peur atroce. Car eux, ils ne pardonnent pas. Et comme se sont des lâches, ils vont exterminer et brûler ce qui subsiste dans une Vendée vidée, anéantie. Et puis, quand la Grande Armée, humiliée par le lâchage des Anglais, l'incohérence des Bretons, affamée, exténuée par le froid, la pluie, la boue, le typhus, la gale et les poux, on les verra dans les ruelles du Mans, sous les murs d'Angers, dans les marais de Savenay, chasser et massacrer une foule en loques, des vieillards, des femmes, des enfants, des blessés sans armes, comme des bêtes puantes, indignes de vivre dans une république prétendue fraternelle.
On les verra aussi, dans ce même Saint Florent, attendre le retour des survivants, leur promettre la vie sauve contre leur reddition, c'est ce qu'ils appellent "user du droit de perfidie", et les fusiller "en haine du nom chrétien". Dans la combe du Marillais, 2000 au moins, et combien d'autres jetés en Loire, morts ou encore vivants ? Car on noie à Saint Florent, comme on noie à Angers, comme on noie à Nantes.
Et cet autre soldat bleu, ce hussard qui tue par trahison Monsieur Henry le 4 mars 94 dans le bois de Nuaillé, après que celui-ci lui ait accordé la vie sauve, n'était-il pas déjà à Chemillé ou à Saint Florent ? N'y étaient-ils pas aussi, les égorgeurs du Luc-sur-Boulogne, les fusilleurs de Quiberon, les canonniers de l'église Saint Roch et tous ces massacreurs qui ont permis la naissance et le développement de la république dans une succession de bains de sang, des crimes qu'elle n'aime pas que l'on raconte.
Voilà ce que vous avez fait, Monsieur de BONCHAMPS et pourquoi ? Par imprudence ? En souvenir de vos études classiques chez les Oratoriens ?
La clémence d'Auguste, n'est-ce pas un beau challenge pour un généralissime ?
Vouliez-vous imiter Pyrrhus dans l'Andromaque de Racine?
"Et seul de tous les Grecs ne m'est-il pas permis
D'ordonner des captifs que le sort m'a soumis ?".

Pour votre salut éternel ? Une indulgence plénière ? Combien de fois sept ans et sept quarantaines ?
Vous avez un mausolée en marbre de Carrare, des tableaux, des vitraux à votre image, des livres à votre gloire. Vous avez tout. Non ? Un peu de remords ? La crainte d'en avoir trop fait ? ...
Ah ! Oui ! : Le vers de Corneille :
"Qui pardonne aisément incite à l'offenser".
Ne craignez rien, car nous sommes chrétiens et nous sommes vendéens. Alors, Monsieur de BONCHAMPS, nous, nous vous pardonnons... Quand même !
Assurément, ce n'est pas la réalité de la scène qui a inspiré David d'Angers. BONCHAMPS était moribond, mais la force du symbole : clémence, paix, halte à tous les massacres ; la main, brandie comme un drapeau, a imprimé dans la mémoire la noblesse du geste.

A-M B