BULLETIN 2001

HOMELIE DU PERE BERTRAND

Chers frères et sœurs dans le Christ...
Depuis ma plus tendre enfance, j'ai dans les yeux le vitrail de la chapelle mortuaire d'Henri de La Rochejaquelein, qui représente la mort de Judas Maccabée, avec l'inscription en latin d'une phrase de ce héros de l'Ancien Testament : "Melius est nos mori in bello quam videre mala gentis nostrae et sanctorum... // vaut mieux mourir dans la guerre que de voir les malheurs de notre nation et des choses saintes".
Le parallèle entre la révolte des Maccabées et le soulèvement du peuple vendéen est très évocateur. Au-delà de l'habituelle complexité des causes qui aboutissent à un conflit armé, dans la lutte des Maccabées comme dans celle de nos ancêtres vendéens, la motivation religieuse demeure prépondérante. C'est au nom de leur fidélité à la foi chrétienne que les paysans de La Rochejaquelein et des autres se sont improvisés soldats. A cause de cela, je trouve que la messe que nous célébrons aujourd'hui en ce lieu est tout à fait opportune, en ce lieu où furent massacrés des innocents qui n'étaient coupables que d'appartenir à un peuple fidèle à ses convictions chrétiennes.
Je me sens solidaire de ce peuple, auquel j'appartiens par mes origines. Oui, je descends de ces survivants qu'un régime impie et cruel n'a pas réussi à exterminer au nom de la liberté. Cependant, j'attache plus d'importance aux vertus qu'ils ont pratiquées et qu'il me convient d'imiter qu'au simple fait d'avoir hérité de leur sang... et j'essaie d'éviter le piège manichéen de canoniser tout ce qu'ils ont fait et de condamner sans nuances ceux qu'ils combattaient. Il me semble que c'est l'attitude que je dois avoir au nom même de ma foi chrétienne.
Pour le Christ, la parenté spirituelle est plus importante que la simple parenté physiologique. La page d'Evangile que nous avons entendue tout à l'heure nous le dit clairement : "Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur et une mère". A une époque où l'on ignorait les mécanismes de la transmission de la vie, on croyait que le patrimoine génétique venait totalement du père, la mère n'étant que le réceptacle de la vie, à la manière de "la terre féconde qui reçoit la semence", comme disait naguère le rituel catholique du mariage, et les généalogies par la branche masculine permettaient aux descendants d'un homme célèbre de se croire à 100 % dépositaires d'un patrimoine génétique identique à celui de l'ancêtre. Depuis les découvertes du célèbre moine Mendel, nous savons désormais que le patrimoine génétique d'un individu n'est qu'à 50 % celui de son père, et qu'il n'a de commun avec chacun de ses grands-parents qu'un quart de son patrimoine génétique, un huitième avec chacun de ses arrières grands-parents, si bien qu'au bout d'une dizaine de générations, sa similitude génétique avec l'ancêtre célèbre est parfaitement insignifiante. Il y a heureusement le patrimoine spirituel qui, lui, peut se transmettre dans sa totalité, et, comme je le disais tout à l'heure, c'est pour moi l'essentiel. La foi profonde de nos ancêtres d'il y deux siècles est le trésor dont je suis l'héritier. Leur grandeur d'âme, leur esprit de sacrifice, leur héroïsme m'émeuvent encore, et je souhaite que ces richesses spirituelles restent vivantes au cœur de tous les descendants des "Géants" de la Vendée.
Je parlais tout à l'heure du piège manichéen qui consisterait à canoniser tout ce qu'ont fait nos ancêtres et à condamner sans appel ceux qui les ont combattu. Personnellement, je n'ai jamais été particulièrement curieux de mes origines, mais une de mes nièces, entichée de généalogie, m'a permis de connaître la plupart de mes ancêtres. Ça représente 64 personnes à l'époque de la Révolution française. On ne les a pas toutes retrouvées, mais, parmi celles qu'on a identifiées, il y a vraiment toutes sortes de gens, l'un qui est mort aux Aubiers en combattant sous les ordres de La Rochejaquelein, et d'autres, qui très probablement ont appartenu aux armées républicaines qui combattaient les Vendéens. J'essaie de vivre en chrétien et de me guider à la lumière des critères que j'ai reçus du Christ. J'ai souvent médité la parabole de l'ivraie et du bon grain, et il m'arrive de dire que c'est une des paraboles les plus connues, mais aussi la plus oubliée dans la pratique. Le Christ me dit clairement que le bien et le mal sont présents partout d'une manière inextricable, qu'il n'y a nulle part de champ de blé à l'état pur, et que Dieu seul est capable de faire le tri entre le bon grain et l'ivraie, et cela, à la fin des temps ! Dans la parabole, les ouvriers voulaient tout de suite clarifier la situation, en arrachant l'ivraie, mais le maître leur disait : "Attendez ! En voulant arracher l'ivraie tout de suite, vous risquez d'arracher aussi le blé ! Attendez le moment de la moisson !" Malgré cette parabole si connue, il m'arrive souvent de rencontrer des gens qui ont déjà fait le jugement dernier, et savent me dire clairement qui sont les bons et qui sont les méchants, qui veulent me faire voir ici du noir absolu et là du blanc parfait, alors que partout je ne vois que du gris... disons plutôt des nuances de gris, plus ou moins clair, plus ou moins foncé.
A propos de la guerre de Vendée, j'évoque avec respect et admiration certains faits, qui ont toute la pureté de l'Evangile. Pour n'en citer que deux, j'évoquerai ce qu'on a appelé le "Pater des Vendéens", quant d'Elbée, à Chemillé, faisait réciter le "notre Père" (pardonnez-nous, Seigneur, comme nous pardonnons) pour calmer l'esprit de vengeance de ses soldats qui voulaient massacrer les prisonniers Bleus. J'évoquerai, bien sûr, sur ce territoire de Saint-Florent-le-Vieil, le cri de Bonchamps : "Grâce aux prisonniers.", et je pourrais ajouter l'exemple de Monsieur Henri laissant libre le fuyard républicain qui est devenu son assassin... mais, il n'en reste pas moins vrai que la guerre, même juste, est une calamité, et que la violence déchaînée devient toujours difficilement contrôlable. Dans toutes les guerres, il y a des choses moins belles, et aucun camp de ceux qui combattent n'est exempt de vilenies.
Je pense qu'il est très bon de cultiver le souvenir du passé, mais, loin d'être pour nous une nostalgie, ce doit être d'abord une leçon pour affronter le présent, dans la fidélité aux valeurs que nous admirons en ceux qui nous ont précédés. Je pense avec tristesse à ceux qui, à l'occasion du Concordat de 1801 se sont mis en marge de l'Eglise catholique (ceux que dans le Bressuirais on appelle les "dissidents"... et que je connais bien !), par un attachement aveugle, quoique très respectable, à un passé où ils s'étaient conduits en véritables héros. Je pense aussi, à moins d'un mois de la béatification du Pape Pie IX, au célèbre toast d'Alger, où le Cardinal Lavigerie invitait les chrétiens de France, au nom du Pape, à assumer le présent politique de la France tel qu'il était et à ne pas se renfermer dans une nostalgie stérile.
Chers amis, nous sommes à l'aube du 21eme siècle, dans un monde qui a plus évolué en cent ans que pendant tout le millénaire qui s'achève. Les vertus et les grandeurs de nos "Géants" de la Vendée, loin d'être des valeurs dépassées, sont toujours les authentiques richesses qui peuvent rendre ce monde plus vrai, plus juste, plus humain, et, j'ose le dire, plus conforme à l'Esprit de l'Evangile. Prions ensemble, pour le repos éternel de nos ancêtres, particulièrement de ceux dont les corps ont été ensevelis en ce lieu, et demandons au Seigneur d'être à la hauteur de la tâche qu'il attend de nous. Amen !

Père Michel BERTRAND