Chers frères
et surs dans le Christ...
Depuis ma plus tendre enfance, j'ai dans les yeux le vitrail de
la chapelle mortuaire d'Henri de La Rochejaquelein, qui représente
la mort de Judas Maccabée, avec l'inscription en latin
d'une phrase de ce héros de l'Ancien Testament : "Melius
est nos mori in bello quam videre mala gentis nostrae et sanctorum...
// vaut mieux mourir dans la guerre que de voir les malheurs de
notre nation et des choses saintes".
Le parallèle entre la révolte des Maccabées
et le soulèvement du peuple vendéen est très
évocateur. Au-delà de l'habituelle complexité
des causes qui aboutissent à un conflit armé, dans
la lutte des Maccabées comme dans celle de nos ancêtres
vendéens, la motivation religieuse demeure prépondérante.
C'est au nom de leur fidélité à la foi chrétienne
que les paysans de La Rochejaquelein et des autres se sont improvisés
soldats. A cause de cela, je trouve que la messe que nous célébrons
aujourd'hui en ce lieu est tout à fait opportune, en ce
lieu où furent massacrés des innocents qui n'étaient
coupables que d'appartenir à un peuple fidèle à
ses convictions chrétiennes.
Je me sens solidaire de ce peuple, auquel j'appartiens par mes
origines. Oui, je descends de ces survivants qu'un régime
impie et cruel n'a pas réussi à exterminer au nom
de la liberté. Cependant, j'attache plus d'importance aux
vertus qu'ils ont pratiquées et qu'il me convient d'imiter
qu'au simple fait d'avoir hérité de leur sang...
et j'essaie d'éviter le piège manichéen de
canoniser tout ce qu'ils ont fait et de condamner sans nuances
ceux qu'ils combattaient. Il me semble que c'est l'attitude que
je dois avoir au nom même de ma foi chrétienne.
Pour le Christ, la parenté spirituelle est plus importante
que la simple parenté physiologique. La page d'Evangile
que nous avons entendue tout à l'heure nous le dit clairement
: "Qui est ma mère et qui sont mes frères
? Quiconque fait la volonté de mon Père qui est
aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sur
et une mère". A une époque où l'on
ignorait les mécanismes de la transmission de la vie, on
croyait que le patrimoine génétique venait totalement
du père, la mère n'étant que le réceptacle
de la vie, à la manière de "la terre féconde
qui reçoit la semence", comme disait naguère
le rituel catholique du mariage, et les généalogies
par la branche masculine permettaient aux descendants d'un homme
célèbre de se croire à 100 % dépositaires
d'un patrimoine génétique identique à celui
de l'ancêtre. Depuis les découvertes du célèbre
moine Mendel, nous savons désormais que le patrimoine génétique
d'un individu n'est qu'à 50 % celui de son père,
et qu'il n'a de commun avec chacun de ses grands-parents qu'un
quart de son patrimoine génétique, un huitième
avec chacun de ses arrières grands-parents, si bien qu'au
bout d'une dizaine de générations, sa similitude
génétique avec l'ancêtre célèbre
est parfaitement insignifiante. Il y a heureusement le patrimoine
spirituel qui, lui, peut se transmettre dans sa totalité,
et, comme je le disais tout à l'heure, c'est pour moi l'essentiel.
La foi profonde de nos ancêtres d'il y deux siècles
est le trésor dont je suis l'héritier. Leur grandeur
d'âme, leur esprit de sacrifice, leur héroïsme
m'émeuvent encore, et je souhaite que ces richesses spirituelles
restent vivantes au cur de tous les descendants des "Géants"
de la Vendée.
Je parlais tout à l'heure du piège manichéen
qui consisterait à canoniser tout ce qu'ont fait nos ancêtres
et à condamner sans appel ceux qui les ont combattu. Personnellement,
je n'ai jamais été particulièrement curieux
de mes origines, mais une de mes nièces, entichée
de généalogie, m'a permis de connaître la
plupart de mes ancêtres. Ça représente 64
personnes à l'époque de la Révolution française.
On ne les a pas toutes retrouvées, mais, parmi celles qu'on
a identifiées, il y a vraiment toutes sortes de gens, l'un
qui est mort aux Aubiers en combattant sous les ordres de La Rochejaquelein,
et d'autres, qui très probablement ont appartenu aux armées
républicaines qui combattaient les Vendéens. J'essaie
de vivre en chrétien et de me guider à la lumière
des critères que j'ai reçus du Christ. J'ai souvent
médité la parabole de l'ivraie et du bon grain,
et il m'arrive de dire que c'est une des paraboles les plus connues,
mais aussi la plus oubliée dans la pratique. Le Christ
me dit clairement que le bien et le mal sont présents partout
d'une manière inextricable, qu'il n'y a nulle part de champ
de blé à l'état pur, et que Dieu seul est
capable de faire le tri entre le bon grain et l'ivraie, et cela,
à la fin des temps ! Dans la parabole, les ouvriers voulaient
tout de suite clarifier la situation, en arrachant l'ivraie, mais
le maître leur disait : "Attendez ! En voulant arracher
l'ivraie tout de suite, vous risquez d'arracher aussi le blé
! Attendez le moment de la moisson !" Malgré cette
parabole si connue, il m'arrive souvent de rencontrer des gens
qui ont déjà fait le jugement dernier, et savent
me dire clairement qui sont les bons et qui sont les méchants,
qui veulent me faire voir ici du noir absolu et là du blanc
parfait, alors que partout je ne vois que du gris... disons plutôt
des nuances de gris, plus ou moins clair, plus ou moins foncé.
A propos de la guerre de Vendée, j'évoque avec respect
et admiration certains faits, qui ont toute la pureté de
l'Evangile. Pour n'en citer que deux, j'évoquerai ce qu'on
a appelé le "Pater des Vendéens", quant
d'Elbée, à Chemillé, faisait réciter
le "notre Père" (pardonnez-nous, Seigneur, comme
nous pardonnons) pour calmer l'esprit de vengeance de ses soldats
qui voulaient massacrer les prisonniers Bleus. J'évoquerai,
bien sûr, sur ce territoire de Saint-Florent-le-Vieil, le
cri de Bonchamps : "Grâce aux prisonniers.", et
je pourrais ajouter l'exemple de Monsieur Henri laissant libre
le fuyard républicain qui est devenu son assassin... mais,
il n'en reste pas moins vrai que la guerre, même juste,
est une calamité, et que la violence déchaînée
devient toujours difficilement contrôlable. Dans toutes
les guerres, il y a des choses moins belles, et aucun camp de
ceux qui combattent n'est exempt de vilenies.
Je pense qu'il est très bon de cultiver le souvenir du
passé, mais, loin d'être pour nous une nostalgie,
ce doit être d'abord une leçon pour affronter le
présent, dans la fidélité aux valeurs que
nous admirons en ceux qui nous ont précédés.
Je pense avec tristesse à ceux qui, à l'occasion
du Concordat de 1801 se sont mis en marge de l'Eglise catholique
(ceux que dans le Bressuirais on appelle les "dissidents"...
et que je connais bien !), par un attachement aveugle, quoique
très respectable, à un passé où ils
s'étaient conduits en véritables héros. Je
pense aussi, à moins d'un mois de la béatification
du Pape Pie IX, au célèbre toast d'Alger, où
le Cardinal Lavigerie invitait les chrétiens de France,
au nom du Pape, à assumer le présent politique de
la France tel qu'il était et à ne pas se renfermer
dans une nostalgie stérile.
Chers amis, nous sommes à l'aube du 21eme siècle,
dans un monde qui a plus évolué en cent ans que
pendant tout le millénaire qui s'achève. Les vertus
et les grandeurs de nos "Géants" de la Vendée,
loin d'être des valeurs dépassées, sont toujours
les authentiques richesses qui peuvent rendre ce monde plus vrai,
plus juste, plus humain, et, j'ose le dire, plus conforme à
l'Esprit de l'Evangile. Prions ensemble, pour le repos éternel
de nos ancêtres, particulièrement de ceux dont les
corps ont été ensevelis en ce lieu, et demandons
au Seigneur d'être à la hauteur de la tâche
qu'il attend de nous. Amen !
Père Michel BERTRAND
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