Le destin
de la comtesse Auguste de La Rochejaquelein, dont la vie mouvementée
s'étend sur quatre-vingt cinq ans, de 1798 à 1883,
croise souvent l'actualité politique du XIXe siècle.
Fille du dernier duc de Duras, épouse du comte Auguste
de La Rochejaquelein, frère du général de
l'insurrection vendéenne de 1793, elle est l'auxiliaire
zélée de la duchesse de Berry, lors du soulèvement
de la Vendée en 1832 ; puis défend jusqu 'à
sa mort la cause légitimiste, aussi bien en France que
dans la péninsule ibérique, avec une fougue et une
constance qu'ont notées ses contemporains.
La marquise de La Tour du Pin née Lucy Dillon (1770-1853),
qui trouve en elle une amie intime et sa principale correspondante,
souligne sa fidélité. Sosthène de La Rochefoucauld,
duc de Doudeauville (1785-1864) trace un portrait admiratif de
cet "être bizarre, original, spirituel et presque
fantastique, rempli de charme, séduisant, mobile ".
Prosper Mérimée (1803-1870), qui à partir
de 1854 échange avec elle de nombreuses lettres, écrit
:
"Vous êtes, Madame, la bonté même.
Vous êtes une des rares personnes avec lesquelles on peut
discuter, puisque vous permettez à vos adversaires de se
défendre".
Dans cette correspondance, très personnelle, d'une grande
franchise, l'écrivain trouve plaisir et réconfort,
même s'il ne partage ni les idées politiques ni la
foi chrétienne de Félicie ; il lui raconte ses voyages,
ses travaux d'écriture et ses rencontres, lui fait part
de ses découvertes en peinture et en littérature,
évoque les projets de restauration qu'il suit comme inspecteur
des Monuments Historiques.
Mais c'est surtout par son goût pour le combat que Félicie
a marqué ses contemporains :
" Des luttes guerrières et politiques, voilà
décidément l'atmosphère où elle semble
vivre à l'aise. "
Ecrit madame Swetchine (1782-1857). Beaucoup plus sévère,
madame de Boigne (1781-1866) qui brosse une peinture au vitriol
des milieux royalistes et ne cache pas ses réserves envers
les ultras, écrit :
"[Elle] s'est donnée depuis 1830 la joie de courir
le pays le pistolet an poing, d'y fomenter des troubles, d'y attirer
beaucoup de malheurs et de ruines. Je ne sais si la réalité
de toutes ces choses lui aura paru aussi charmante que son imagination
les lui avait représentées ; mais elle est plus
excusable qu'aucune autre personne de s'être jetée
dans la guerre civile car c'était son rêve depuis
l'âge de douze ans".
Jugements contrastés donc, mais qui tous insistent sur
la vivacité et l'enthousiasme du personnage, le caractère
inébranlable de ses résolutions, sa ténacité,
sa force de caractère.
Sa vie, dont sont ici retracés les principaux épisodes,
est ponctuée d'aventures, avec toutes les nuances que la
langue française confère à ce mot : risque
et péril, accident et hasard, bonne et mauvaise fortune.
Les péripéties de ce destin individuel, qui pousse
à leur paroxysme des réflexes d'attachement au passé,
soulignent aussi l'étonnante témérité
et l'ardeur infatigable mises au service de ses convictions par
une noblesse légitimiste qui, pendant les deux premiers
tiers du XIX" siècle, croit encore possible une restauration
de l'Ancien Régime.
I - UN DESTIN PLACE SOUS LE SIGNE DE L'AVENTURE REVOLUTIONNAIRE
Les souvenirs
de la tourmente révolutionnaire planent, dès sa
naissance en 1798, sur le destin de Félicie de Durfort
de Duras. "Ma famille du côté paternel a
été décimée par la Révolution"
rappelle-t-elle à l'un de ses neveux en 1845. Les "barbaries"
de la période révolutionnaire, expression qu 'elle
emploie dans une lettre datée de 1840 et qui souligne combien
ce passé la hante, n'ont pas épargné sa famille,
de haute noblesse, dont plusieurs membres ont été
guillotinés ; Ainsi sa grand-mère paternelle, Philippine
de Noailles-Mouchy, duchesse de Duras (1745-1832) dame d'honneur
des reines Marie Leczinska et Marie-Antoinette, a été
emprisonnée sous la Terreur avec ses parents, le maréchal
duc de Mouchy et sa femme, née Arpajon, qui furent tous
deux guillotinés ; Du côté maternel, son grand-père,
le Comte de Kersaint (1742-1793) est mort sur l'échafaud
en décembre 1793, après avoir été
membre de l'Assemblée législative et de la Convention,
Dès l'enfance, Félicie baigne dans le milieu royaliste
qui, au lendemain de la Restauration, jouit des faveurs du pouvoir.
Son père, le dernier duc de Duras (1771-1838), pair de
France, chevalier du Saint-Esprit et premier gentilhomme de la
chambre de Louis XVI , a été, pendant l'Emigration,
premier gentilhomme de la chambre de Louis XVII, et le demeure
après 1815, puis sous le règne de Charles X jusqu
'en 1830. Madame de Boigne le décrit comme l'un des plus
farouches partisans du rétablissement de l'étiquette
de la cour d'Ancien Régime :
"C'est avec l'assistance du duc de Duras, principalement,
[....] qu'on établit les honneurs de la salle du Trône
pour remplacer les honneurs du Louvre. Monsieur de Duras, plus
duc que feu monsieur de Saint Simon tenait excessivement à
ce que les distinctions attachées à ce titre fussent
établies de la façon la plus marquée ".
La mère de Félicie, Claire de Kersaint (1778-1828),
qui a épousé le duc de Duras à Londres, en
novembre 1797, devient, après son retour en France en 1801
l'"un des coryphées de la société
anti-bonapartiste du faubourg Saint Honoré". Auteur
de deux romans qui furent bien accueillis du public, en particulier
le premier Ourika (1823). Amie de Chateaubriand, elle acquiert,
sous la Restauration une position mondaine de premier plan. Elle
tient un brillant salon, à l'hôtel La Rochefoucauld,
rue de Varennes, et plus tard, sous la Restauration, aux Tuileries,
au Pavillon de Flore, où est logé son mari. Les
fonctions du duc, l'attachement de la famille à la branche
aînée des Bourbons n'excluent cependant pas un certain
éclectisme dans ses relations où Von trouve : Humboldt,
Cuvier, Talleyrand, Molé, Villèle, Barrante, Villemain,
comme le souligne madame de Boigne :
" Madame de Duras avait beaucoup plus de libéralisme
que sa position ne semblait en comporter. Elle admettait toutes
les opinions et ne les jugeait pas du haut de l'esprit de parti.
Elle était même accessible à celles des idées
généreuses qui ne compromettaient pas trop sa position
de grande dame dont elle jouissait d'autant plus vivement qu'elle
l'avait attendue plus longtemps."
Sa fille aînée Félicie, en revanche "ne
partage pas sa modération" si l'on en croit toujours
madame de Boigne qui souligne l'"exaltation extrême"
qu'elle pardonne à une enfant "si jeune et si jolie".
Jolie, Félicie l'est, comme en témoigne ses contemporains.
Sosthène de La Rochefoucauld lui reconnaît "toutes
les grâces de la femme la plus séduisante",
tout en notant son "caractère d'homme", et admire
sa "taille de nymphe", à laquelle rend même
hommage dans ses Souvenirs le duc d'Orléans, le fils du
roi Louis Philippe, mort accidentellement en 1842, qui pourtant
la déteste. Assez vite les épreuves de la vie porteront
atteinte à sa "physionomie gracieuse" et la couperose
gâtera son visage. Son penchant naturel à l'exaltation,
oui semble s'être très tôt manifesté,
trouve, en revanche, un formidable exutoire dans un mariage qui
la fait entrer dans l'épopée vendéenne.
A quatorze ans, en 1812, Félicie épouse Léopold
de La Trémoille, prince de Talmont, fils unique du général
de la cavalerie vendéenne célèbre pour être
monté sur l'échafaud en 1794 en déclarant
au juge qui l'avait condamné "tu fais ton métier
et moi j'accomplis le devoir d'un prince en mourant pour mon Roi".
L'époux de Félicie étant le seul héritier
de l'illustre maison de La Trémoille, on parle de ce beau
mariage comme de "noces historiques" et d'une éventuelle
grossesse comme d'un "événement national".
Le sort en décide autrement. Trois ans plus tard, en novembre
1815, à l'âge de dix-sept ans, Félicie se
retrouve veuve et sans enfant. Le jour de l'enterrement, son père
se serait écrié :
"Il est bien affreux de se trouver veuve à dix-sept
ans quand on est condamnée à ne pouvoir plus épouser
qu'un prince souverain".
A ce devoir, la princesse de Talmont va pourtant se soustraire,
contre la volonté de ses parents... Moins de quatre ans
plus tard, le 14 septembre 1819 - quelques jours après
le mariage de sa sur cadette Claire (1799-1863) avec Henri
de Chastellux qui prend le nom de duc de Rauzan, ancien titre
de la maison de Duras, elle épouse Auguste du Vergier,
comte de La Rochejaquelein (1784-1868), son aîné
de quatorze ans, frère cadet de deux célèbres
généraux : Henri de La Rochejaquelein (1772-1794),
"Monsieur Henri", généralissime de l'insurrection
vendéenne de 1793, et le général Louis (1777-1815),
marquis de La Rochejaquelein, dont l'épouse est l'auteur
des célèbres Mémoires. Ce mariage plonge
dans le chagrin et la tristesse les parents de Félicie,
surtout sa mère, qui refuse d'assister au mariage :
" Le mariage de sa fille aînée avec Monsieur
de La Rochejaquelein lui avait été un véritable
malheur. Elle y avait constamment refusé son approbation
et ne consentit pas même à assister à la cérémonie,
lorsque madame de Talmont, ayant atteint vingt et un ans, se décida
à la faire célébrer. Le duc de Duras, quoique
très récalcitrant, accompagna sa fille à
l'autel."
Liée pour la deuxième fois, à l'âge
de vingt et un ans, aux gloires de la Vendée militaire,
Félicie retrouve dans sa seconde belle-famille l'héroïque
légende de la première, où son remariage
semble avoir été apprécié, en particulier
de sa belle-mère, la princesse douairière de Talmont
qui, lorsqu'elle meurt en 1831, lui laisse toute sa fortune, avec
notamment le grand château de Fleury en Bière, en
Seine et Marne. Félicie se passionne pour la chasse, le
tir, l'équitation, adoptant comme tenue habituelle, ce
costume d'amazone si fréquemment évoqué dans
les portraits qu'ont laissés d'elle ses contemporains.
Mais surtout, elle devient une véritable "pasionaria"
de la cause vendéenne, d'autant plus qu'elle est maintenant
la belle-sur de la célèbre marquise : elle
ne s'entend pas avec elle, mais elle admire les héros qui
peuplent les fameuses Mémoires, cette uvre qui a
joué un rôle si important dans la diffusion du souvenir
vendéen. Les aventures des généraux de l'Armée
Catholique et Royale, leur courage dans la défense de la
royauté, la fierté de leur nom et de leur rang,
excitent son imagination qu'elle cultive depuis l'enfance. Aspirant
de plus en plus à les imiter, elle adopte le parti de la
réaction la plus violente et de l'exaltation royaliste
la plus pure, effrayant les esprits modérés comme
madame de Boigne :
"Le grand mérite de monsieur de La Rochejaquelein,
aux yeux de sa nouvelle épouse, était son nom vendéen
et l'espoir qu'elle serait appelée à jouer un rôle
dans les troubles civils de l'Ouest. Félicie de Duras sortait
à peine de l'enfance lorsque le manuscrit de monsieur de
Barante (connu sous le nom des Mémoires de madame de la
Rochejaquelein) circula dans nos salons. Ce récit s'empara
de sa jeune imagination Depuis ce temps, elle a constamment rêvé
la guerre civile comme le complément du bonheur, et, pour
s'y préparer, dès qu'elle a été maîtresse
de ses actions, elle a été à la chasse au
fusil, elle a fait des armes, elle a tiré du pistolet,
elle a dressé des chevaux, elle les a montés à
poil, enfin elle s'est exercée à tous les talents
d'un sous-lieutenant de dragons, à la grande désolation
de sa mère et à la destruction de sa beauté
qui, avant vingt ans, avait succombé devant ce régime
de vie".
Dès lors, l'engagement de Félicie est étroitement
lié aux activités de son époux, qui, au moment
de son mariage, a déjà derrière lui une longue
carrière militaire. Trop jeune au moment de la première
guerre de Vendée pour agir auprès de son frère
Henri, Auguste a émigré avec ses surs en Angleterre.
A seize ans, il s'est engagé dans la marine anglaise. Rentré
en France en 1801, contraint, en 1809 par Napoléon à
servir dans l'armée impériale, il a pris part, comme
sous-lieutenant de carabiniers, à la campagne de Russie
; au cours de la bataille de la Moskowa, en 1812, il a reçu
un violent coup de sabre au visage, ce qui lui vaut le surnom
de "balafré de la Moskowa". Prisonnier et conduit
à Saratov, son sort a été adouci grâce
à une intervention de Louis XVIII auprès du Tsar.
Rentré en France en 1814, après deux ans de captivité,
il a gagné la Vendée dès le 20 mars 1815
et pris la tête de l'insurrection royaliste organisée
dans le marais vendéen contre le retour de Napoléon.
Etablissant son quartier général à Saint
Aubin de Baubigné (près de Mauléon, dans
les deux Sèvres), où se trouvent les ruines du château
de la Durbelière, haut lieu des Guerres de Vendée,
il a commandé le IVe corps dit "du Poitou", puis
est devenu major général de l'armée des insurgés
succédant à son frère Louis, tué lors
du combat des Mathes (4juin 1815), où lui-même a
été blessé au genou.
En épousant Auguste, Félicie entre dans une famille
où l'aventure se décline aussi au féminin.
En effet, si nous ne disposons d'aucune information concernant
l'activité, pendant les Cent-Jours, de Félicie,
encore mariée avec le prince de Talmont (qui meurt en novembre
1815), on sait que les femmes de la famille La Rochejaquelein
ont pris une part active au combat. La future belle-sur
de Félicie, la comtesse de Rieux-Songy (1788-1862) née
Lucie de La Rochejaquelein apprenant, le 3 juin 1815 ; que ses
frères "se trouvaient seuls avec leurs soldats dans
le marais vendéen", "fit sonner le tocsin"
à Saint aubin de Baubigné et dans les paroisses
voisines, et prit la tête de 4000 hommes qu'elle emmena
vers la Basse-Vendée.
Après la seconde Restauration, Auguste a été
nommé lieutenant dans le corps des grenadiers à
cheval de la Maison du Roi (septembre 1815), puis maréchal
de camp en 1818 (19 juillet). Lorsqu'elle l'épouse l'année
suivante, Félicie trouve donc en lui l'archétype
du soldat "élevé dans le berceau vendéen,
dans le respect de la tradition, de la foi et du royalisme"
animé peut être en outre de cène "folie
mystique" que blâme chez lui le jeune duc d'Orléans,
qui -on s'en doute- déteste plus que tout, les ultras de
la Vendée et a laissé d'Auguste un portrait des
plus sévères.
Pendant dix ans, de 1823 à 1833, le couple, partageant
les même convictions, s'engage dans l'aventure militaire
au service de la réaction, avec une énergie, une
ardeur, voire un aveuglement, qui vont en déclinant chez
le premier mais ne font que croître chez la seconde.
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