BULLETIN 1999

DESCENDANCE d'AGRIPPA (suite et fin)

L'an passé il était promis de narrer l'histoire des deux filles d'Agrippa d'Aubigné TOUTES DEUX ancêtres du Marquis ET de son épouse. Nous descendons donc 4 fois d'Agrippa. Rappelons qu'Agrippa a été un homme important comme chef de guerre dans le parti protestant d'Henri de Navarre, comme homme politique et enfin comme écrivain. Dans ce dernier domaine son activité la plus intense fut celle de pamphlétaire mais il écrivit aussi "l'Histoire Universelle" pour laquelle il fut auteur, éditeur et imprimeur. Ce fut aussi un poète et dans son excellente "Anthologie de la poésie française" Georges Pompidou le place à un rang honorable. "Il est habité par le génie et a écrit quelques uns des plus beaux vers de notre langue".
Beaucoup de livres à son sujet ne parlent que de ses faits de guerre ou de ses rapports avec Henri IV mais il existe un excellent ouvrage traitant de sa vie de famille : "La famille d'Aubigné et l'enfance de Madame de Maintenon" (Paris, Pion 1857) par Théophile Lavallée. Ce livre très documenté et référencé nous permet de mieux situer nos ancêtres Louise et Marie d'Aubigné.
De son premier mariage avec Suzanne de Lezay, Agrippa avait eu 5 enfants : 3 garçons et deux filles ; 2 garçons moururent jeunes ne laissant que Constant, le futur père de Françoise et nos deux aïeules.
C'est la cadette Louise qui sera la chérie de son père ; Louise Arthémise avait épousé en 1610 Benjamin de Valois sieur de Villette.
En ce qui concerne son frère Constant chacun sait à quel point il fut un débauché, causant mille soucis à son père ; une grande partie des rapports entre Agrippa et Constant fut constitué de différends monétaires. Aucun de ses deux mariages ne fit plaisir à Agrippa.
Sa première épouse Anne Marchand, veuve joyeuse avait aussi peu de dot que de vertu. C'est d'ailleurs parce que son mari la surprit en flagrant délit d'adultère que Constant la fit passer de vie à trépas ce qui lui valut la prison. Il subjugua alors la fille du geôlier... dont naquit, entre autres, Françoise d'Aubigné épouse de Scarron puis de Louis XIV.
Ne pouvant porter son affection sur son fils, Agrippa reportait tout sur Louise Arthémise qu'il appelait "son unique" ou "sa fillette".
En effet sa fille aînée Marie n'était, d'après les récits de l'époque, ni belle ni aimable. Elle fut mariée sur le tard à Josué de Caumont d'Ade. C'était un pauvre gentilhomme gascon qui avait servi Agrippa dans ses équipées guerrières et dont on dit qu'il était "laid, grossier, prodigue et faisant sa compagnie des gens de peu". Il prétendait être issu de l'illustre famille de Caumont (La Force) qui était comme lui de Gascogne mais son beau père le niait ouvertement en ne parlant de lui que sous le nom de "Monsieur Dadou". C'est dire si les rapports familiaux étaient difficiles. Agrippa aggravait les difficultés en laissant la gestion de ses biens à sa fille chérie, à charge pour elle de reverser une rente à Constant et à Dadou.
Les vertus de Louise de Villette la conduisirent à servir plus ou moins de mère à sa nièce Françoise d'Aubigné.
C'est en effet pendant la captivité de son mari Constant que Jeanne de Cardillac, fille du premier geôlier, donna naissance à trois enfants. Après la naissance de son deuxième fils Charles, elle obtint que son mari fût transféré à Poitiers ; elle logeait dans la maison d'un pâtissier pendant que Constant était aux prisons du Palais de ladite ville. Il fut ensuite transféré aux prisons de Niort où sa femme vint le rejoindre pendant que les aînés étaient recueillis par leur tante de Villette. A Niort elle vivait en prison avec son mari et, devenue à nouveau enceinte, elle donna naissance à Françoise le 27 Novembre 1635 en présence de Louise de Villette. Le baptême eût lieu dans une église catholique (Notre Dame de Niort).
"Madame de Villette qui avait déjà soin des deux fils de son frère, emporta l'enfant nouvellement né et lui donna la même nourrice qu'avait eue la seconde de ses filles". C'est celle qui devint Madame de Sainte Hermine, peut être l'aïeule de celui qui se glissa avec les généraux vendéens pour signer la proclamation après la prise de Fontenay le Comte (voir bulletin 1995, Une énigme résolue, p3). Tout vint se compliquer quand Arthémise de Caumont d'Ade épousa Sensas de Nesmond. Celui ci entretint une guerre juridique effrénée contre Jeanne épouse de Constant. Jeanne dût partir à Paris défendre ses intérêts pendant que Constant était toujours en prison et Françoise chez notre aïeule.
Il faudrait un livre entier pour relater les rapports confus et conflictuels entre les trois branches descendant d'Agrippa.
Signalons en guise de conclusion que Constant fut sauvé par la mort de Richelieu et l'arrivée de Mazarin. En 1642 il fut libéré et partit avec sa fille Françoise rejoindre sa femme à Paris. La mère, durcie par les difficultées, témoigna peu de tendresse envers sa fille qui regretta ouvertement sa mère adoptive Louise.
Les bienfaits de Madame de Villette envers Françoise ne se limitèrent pas à la petite enfance. En effet Constant partit avec sa famille pour les Antilles et y mourut. Sa veuve revint, avec Charles et Françoise, complètement ruinée et n'eut d'autre solution que de laisser ses enfants chez sa belle sœur si accueillante.
Mais Madame de Villette était calviniste zélée et la jeune Françoise devint vite une ardente huguenote.
C'est elle qui était chargée de distribuer les très généreuses aumônes ; sa tante la mettait au bout du pont-levis du château de Marçais où ils résidaient et Françoise distribuait les subsides. Plus que tout raisonnement cela entraînait l'adhésion de la nièce. De plus les manières de sa tante étaient très différentes de celles de sa mère.
"On lui inspirait les vertus mais on ne les commandait pas ; on la reprenait mais on ne la grondait pas. Les corrections étaient mêlées de caresses et les répréhensions assaisonnées de raisonnements. Ainsi l'amitié de la tante et l'orgueil de la nièce concourant à la même séduction elle devint une huguenote décidée".
Quand on voulut la ramener à la religion catholique elle disait résolument :
"Au moins que l'on n'exige pas de moi que je croie damnée ma tante de Villette".
On obtint de la Régente un ordre pour retirer Françoise des mains de sa tante de Villette et la faire mettre en pension aux Ursulines de Niort. Il était espéré que la généreuse tante payerait la pension mais celle-ci comprenant la manœuvre contre sa religion s'y refusa ; Françoise résista. "La jeune huguenote sortit de leurs mains presque aussi opiniâtre qu'elle y avait été mise". Madame d'Aubigné fit donc revenir sa fille à Paris mais sa brutalité contrastant avec la douceur de Madame de Villette ne fit que rendre Françoise encore plus opiniâtre. On mit alors Françoise aux Ursulines de la rue Saint-Jacques.
Le combat dura longtemps, les protestants ranimèrent sa foi par le souvenir de son illustre grand père Théodore Agrippa.
C'est vers 13 ans qu'elle changea d'opinion et fit sa première communion. C'est alors qu'elle sortit du couvent pour son illustre destin : la rencontre de Scarron, son mariage, son veuvage, la prise en charge des enfants de Madame de Montespan qui la conduit au Roi.
Ultérieurement la fille Marie de Louise de Villette épousera son cousin germain Marc Louis de Caumont d'Ade. Il serait intéressant de retrouver à quel moment nos ancêtres sont repassés de la religion réformée à la religion catholique ; si un lecteur a des lumières sur ce point il sera le bienvenu. Pour revenir à Françoise, devenue adulte puis célèbre, elle conserva toujours une grande considération pour la famille de Villette.
Vis à vis de la famille de Caumont d'Ade qui lui avait donné tant de désagréments par Dadou et son gendre Sensas de Nesmond, elle ne se vengea jamais ; bien au contraire, devenue épouse de Louis XIV elle combla de bienfaits les descendants de Dadou et de Sensas. Dans l'excellent film, "L'allée du Roi" le rôle joué par notre aïeule Louise de Villette correspond bien à ce que l'on peut savoir de sa personnalité.

Georges de Beaucorps