L'an passé
il était promis de narrer l'histoire des deux filles d'Agrippa
d'Aubigné TOUTES DEUX ancêtres du Marquis ET de son
épouse. Nous descendons donc 4 fois d'Agrippa. Rappelons
qu'Agrippa a été un homme important comme chef de
guerre dans le parti protestant d'Henri de Navarre, comme homme
politique et enfin comme écrivain. Dans ce dernier domaine
son activité la plus intense fut celle de pamphlétaire
mais il écrivit aussi "l'Histoire Universelle"
pour laquelle il fut auteur, éditeur et imprimeur. Ce fut
aussi un poète et dans son excellente "Anthologie
de la poésie française" Georges Pompidou le
place à un rang honorable. "Il est habité
par le génie et a écrit quelques uns des plus beaux
vers de notre langue".
Beaucoup de livres à son sujet ne parlent que de ses faits
de guerre ou de ses rapports avec Henri IV mais il existe un excellent
ouvrage traitant de sa vie de famille : "La famille d'Aubigné
et l'enfance de Madame de Maintenon" (Paris, Pion 1857) par
Théophile Lavallée. Ce livre très documenté
et référencé nous permet de mieux situer
nos ancêtres Louise et Marie d'Aubigné.
De son premier mariage avec Suzanne de Lezay, Agrippa avait eu
5 enfants : 3 garçons et deux filles ; 2 garçons
moururent jeunes ne laissant que Constant, le futur père
de Françoise et nos deux aïeules.
C'est la cadette Louise qui sera la chérie de son père
; Louise Arthémise avait épousé en 1610 Benjamin
de Valois sieur de Villette.
En ce qui concerne son frère Constant chacun sait à
quel point il fut un débauché, causant mille soucis
à son père ; une grande partie des rapports entre
Agrippa et Constant fut constitué de différends
monétaires. Aucun de ses deux mariages ne fit plaisir à
Agrippa.
Sa première épouse Anne Marchand, veuve joyeuse
avait aussi peu de dot que de vertu. C'est d'ailleurs parce que
son mari la surprit en flagrant délit d'adultère
que Constant la fit passer de vie à trépas ce qui
lui valut la prison. Il subjugua alors la fille du geôlier...
dont naquit, entre autres, Françoise d'Aubigné épouse
de Scarron puis de Louis XIV.
Ne pouvant porter son affection sur son fils, Agrippa reportait
tout sur Louise Arthémise qu'il appelait "son unique"
ou "sa fillette".
En effet sa fille aînée Marie n'était, d'après
les récits de l'époque, ni belle ni aimable. Elle
fut mariée sur le tard à Josué de Caumont
d'Ade. C'était un pauvre gentilhomme gascon qui avait servi
Agrippa dans ses équipées guerrières et dont
on dit qu'il était "laid, grossier, prodigue et
faisant sa compagnie des gens de peu". Il prétendait
être issu de l'illustre famille de Caumont (La Force) qui
était comme lui de Gascogne mais son beau père le
niait ouvertement en ne parlant de lui que sous le nom de "Monsieur
Dadou". C'est dire si les rapports familiaux étaient
difficiles. Agrippa aggravait les difficultés en laissant
la gestion de ses biens à sa fille chérie, à
charge pour elle de reverser une rente à Constant et à
Dadou.
Les vertus de Louise de Villette la conduisirent à servir
plus ou moins de mère à sa nièce Françoise
d'Aubigné.
C'est en effet pendant la captivité de son mari Constant
que Jeanne de Cardillac, fille du premier geôlier, donna
naissance à trois enfants. Après la naissance de
son deuxième fils Charles, elle obtint que son mari fût
transféré à Poitiers ; elle logeait dans
la maison d'un pâtissier pendant que Constant était
aux prisons du Palais de ladite ville. Il fut ensuite transféré
aux prisons de Niort où sa femme vint le rejoindre pendant
que les aînés étaient recueillis par leur
tante de Villette. A Niort elle vivait en prison avec son mari
et, devenue à nouveau enceinte, elle donna naissance à
Françoise le 27 Novembre 1635 en présence de Louise
de Villette. Le baptême eût lieu dans une église
catholique (Notre Dame de Niort).
"Madame de Villette qui avait déjà soin
des deux fils de son frère, emporta l'enfant nouvellement
né et lui donna la même nourrice qu'avait eue la
seconde de ses filles". C'est celle qui devint Madame
de Sainte Hermine, peut être l'aïeule de celui qui
se glissa avec les généraux vendéens pour
signer la proclamation après la prise de Fontenay le Comte
(voir bulletin 1995, Une énigme résolue, p3). Tout
vint se compliquer quand Arthémise de Caumont d'Ade épousa
Sensas de Nesmond. Celui ci entretint une guerre juridique effrénée
contre Jeanne épouse de Constant. Jeanne dût partir
à Paris défendre ses intérêts pendant
que Constant était toujours en prison et Françoise
chez notre aïeule.
Il faudrait un livre entier pour relater les rapports confus et
conflictuels entre les trois branches descendant d'Agrippa.
Signalons en guise de conclusion que Constant fut sauvé
par la mort de Richelieu et l'arrivée de Mazarin. En 1642
il fut libéré et partit avec sa fille Françoise
rejoindre sa femme à Paris. La mère, durcie par
les difficultées, témoigna peu de tendresse envers
sa fille qui regretta ouvertement sa mère adoptive Louise.
Les bienfaits de Madame de Villette envers Françoise ne
se limitèrent pas à la petite enfance. En effet
Constant partit avec sa famille pour les Antilles et y mourut.
Sa veuve revint, avec Charles et Françoise, complètement
ruinée et n'eut d'autre solution que de laisser ses enfants
chez sa belle sur si accueillante.
Mais Madame de Villette était calviniste zélée
et la jeune Françoise devint vite une ardente huguenote.
C'est elle qui était chargée de distribuer les très
généreuses aumônes ; sa tante la mettait au
bout du pont-levis du château de Marçais où
ils résidaient et Françoise distribuait les subsides.
Plus que tout raisonnement cela entraînait l'adhésion
de la nièce. De plus les manières de sa tante étaient
très différentes de celles de sa mère.
"On lui inspirait les vertus mais on ne les commandait
pas ; on la reprenait mais on ne la grondait pas. Les corrections
étaient mêlées de caresses et les répréhensions
assaisonnées de raisonnements. Ainsi l'amitié de
la tante et l'orgueil de la nièce concourant à la
même séduction elle devint une huguenote décidée".
Quand on voulut la ramener à la religion catholique elle
disait résolument :
"Au moins que l'on n'exige pas de moi que je croie damnée
ma tante de Villette".
On obtint de la Régente un ordre pour retirer Françoise
des mains de sa tante de Villette et la faire mettre en pension
aux Ursulines de Niort. Il était espéré que
la généreuse tante payerait la pension mais celle-ci
comprenant la manuvre contre sa religion s'y refusa ; Françoise
résista. "La jeune huguenote sortit de leurs mains
presque aussi opiniâtre qu'elle y avait été
mise". Madame d'Aubigné fit donc revenir sa fille
à Paris mais sa brutalité contrastant avec la douceur
de Madame de Villette ne fit que rendre Françoise encore
plus opiniâtre. On mit alors Françoise aux Ursulines
de la rue Saint-Jacques.
Le combat dura longtemps, les protestants ranimèrent sa
foi par le souvenir de son illustre grand père Théodore
Agrippa.
C'est vers 13 ans qu'elle changea d'opinion et fit sa première
communion. C'est alors qu'elle sortit du couvent pour son illustre
destin : la rencontre de Scarron, son mariage, son veuvage, la
prise en charge des enfants de Madame de Montespan qui la conduit
au Roi.
Ultérieurement la fille Marie de Louise de Villette épousera
son cousin germain Marc Louis de Caumont d'Ade. Il serait intéressant
de retrouver à quel moment nos ancêtres sont repassés
de la religion réformée à la religion catholique
; si un lecteur a des lumières sur ce point il sera le
bienvenu. Pour revenir à Françoise, devenue adulte
puis célèbre, elle conserva toujours une grande
considération pour la famille de Villette.
Vis à vis de la famille de Caumont d'Ade qui lui avait
donné tant de désagréments par Dadou et son
gendre Sensas de Nesmond, elle ne se vengea jamais ; bien au contraire,
devenue épouse de Louis XIV elle combla de bienfaits les
descendants de Dadou et de Sensas. Dans l'excellent film, "L'allée
du Roi" le rôle joué par notre aïeule Louise
de Villette correspond bien à ce que l'on peut savoir de
sa personnalité.
Georges de Beaucorps
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