BULLETIN X

Texte de l'Allocution après le déjeuner à la Grégoirière
le 26 Août 96 au cours de l'Assemblée générale

Chers Cousins,

De matin nous avons assisté aux Mathes à une messe émouvante en souvenir de Louis de la Rochejaquelein, dernier général en chef des armées royales. A l'endroit précis de sa mort et de son inhumation provisoire. Dans ce lieu héroïque mais au charme immatériel, devant cette croix nue dressée sur trois degrés de pierre grise, nous avons prié, nous imaginant à ses côtés le 4 Juin 1815 pris au piège dans cette petite clairière d'un taillis sous futaie de trembles à couvert fermé.
Et pourtant, ne nous abusons pas. Ce n'est pas d'une embuscade qu'il s'est agi, mais bien d'une vraie bataille en ligne et à découvert le long d'une dune rase et lugubre.
Louis l'emportait déjà quand la débandade se mit dans les rangs des Vendéens à l'annonce de la mort d'un capitaine de paroisse. Il fut bientôt trop tard pour les rallier. Il grimpa alors sur un petit tertre et se sacrifia délibérément en attirant sur lui l'attention des bonapartistes. Il élevait son chapeau à la pointe de son épée quand il fut frappé d'une balle en plein cœur.
Saluons l'héroïque sacrifice de Louis et profitons de cette journée pour associer ceux de la deuxième génération vendéenne qui se battirent pendant les cents jours de 1815 pour Dieu et le Roi.
Beaucoup sont des aïeux ou des oncles de certains d'entre nous : Alexandre de la Roche Saint André, Onésippe de Tinguy, Ludovic de Charette, Durfort-Civrac, Autichamp, Suzannet, Cathelineau, Sapinaud, Bruc, Goulaine, pardon de ne pas le citer tous.
Mais tous nous sommes petits neveux d'Auguste de la Rochejaquelein, vainqueur et blessé à Maulévrier au début de la campagne.
Mais le tiers d'entre nous descend directement de Jacques de Guerry de Beauregard, l'époux de Constance de la Rochejaquelein. Jacques blessé mortellement à Aizenay à la tête de sa division, la nuit du 20 mai. Les hommes de Travot s'étaient introduits par ruse dans le bourg en se faisant passer pour des royalistes. Je conserve pieusement le journal de Constance. La page du 21 mai est froissée, éraflée, tachée de mouillures, sans doute des larmes. Mais la main qui tenait la plume ne tremblait pas : "Miserere illi, domine, miserere nobis", et plus bas : "Donné deux louis à Baptiste pour racheter Tulipe".
Tulipe, la jument de Jacques capturée et rançonnée par les Bonapartistes. Il n'y a pas de petits profits. Et la campagne se poursuivit. Beaucoup tombèrent, quelques uns trahirent, hélas ! Abusés ou stipendiés par Fouché qui croyait ainsi, mais à tort, préserver son avenir politique.
Enfin notre Vendée, qui avait perdu sa guerre en 93, 96 et 99 la gagna en 1815. Car ce ne fut pas le corps d'armée de Grouchy, ni même celui de Bourmont, qui fit défaut à Bonaparte à la Haye-Sainte mais les 15000 hommes de Lamarque immobilisés ici, contre les nôtres, car c'est un véritable second front, créé, organisé, armé par nous seuls, payé de notre or et de notre sang qui a permis un Waterloo décisif avec, en prime, l'économie d'une campagne de France qui eût été aussi meurtrière que l'année précédente, 21 batailles en 10 semaines, des dizaines de milliers de morts, la Thiérache, la Champagne et le Vexin dévastés...
Après 22 ans de résistance, la récompense était là : le retour du Roy, la fin de l'usurpateur et l'oubli, que l'on souhaitait éternel, de son utopie démentielle d'une Europe qualifiée d'unie, parce que soumise à un pouvoir solitaire et de surcroît illégitime.
Au cours de l'après midi passé à la Grégoirière les membres de l'association purent admirer à loisir un dessin à la plume aimablement confié par le docteur Suard, vice président du souvenir Vendéen. Il l'avait découvert lors de la diffusion du mobilier de notre cousin Raymond de Maistre après sa mort à Prinquiau en 1994. Ce dessin représente l'enterrement de Louis de la Rochejaquelein à Saint-Aubin de Baubigné le 13 Février 1816, huit mois après sa mort héroïque au combat de Mathes.
L'artiste, presque inconnu, Ménard de Rochecave, a exécuté une vue cavalière de la place, autrefois cimetière de Saint-Aubin, à partir de la maison du Rabot. Il s'est appliqué au moindre détail, chacun des 400 figurants, quoique d'une taille inférieure à 2 centimètres, à un physique, une expression, une attitude différents. Tout cela "avec un fini, un soin, une précision incroyables".
D'emblée le spectacle est saisissant, mais l'examen à la loupe révèle des surprises. Avec un peu d'attention il est tout d'abord possible d'identifier les membres de la famille : Constance, La Marquise, Auguste, le petit Henri... si on insiste, une foule de minuscule détails surgissent. Ils sont irrespectueux, voire scabreux. Nous avons demandé leur opinion à nos cousins. Quelques uns pensaient, comme naguère Amblard de Guerry que la question avait passionné, à une haine venimeuse de l'artiste pour les la Rochejaquelein, une haine de bleu mâtiné de franc-maçon. Mais d'autres estimaient avoir affaire àun caricaturiste acharné à relever tout ce qui, au cours d'une cérémonie, fut-elle funèbre et grandiose, prête à sourire, sinon à choquer.

A-M BERGERON