BULLETIN 1996

ANNE DE LA ROCHEJAQUELEIN

- CHAPITRE VI -
La vie sous la Restauration

En 1815, la famille la Rochejaquelein a été très éprouvée par la mort de Louis et la blessure d'Auguste, mais avec la Restauration la famille va pouvoir relever la tête. Il en est de même de la famille de Beaucorps.
"On devine avec quel enthousiasme Charles de Beaucorps accueillit la Restauration. Choisi pour aller à Bordeaux saluer le duc d'Angoulême, puis à Paris complimenter le Roi sur son retour et lui porter des hommages de respect et de dévouement, il fut autorisé, le 11 Août 1814, à porter la décoration du lys accordée aux fidèles serviteurs de la monarchie". "Le nouveau gouvernement rendit à la noblesse ses titres et son influence. Le vicomte Charles de Beaucorps fut nommé en 1815, président du corps électoral de Saint-Jean d'Angély. Un arrêté du 27 mai 1816 lui confia à nouveau la mairie de Bernay. Il fut créé le 27 mars 1817, chevalier de Saint-Louis et, en vertu d'une décision royale du 21 septembre 1824, autorisé à porter la décoration de chevalier de Malte qui consistait en une croix d'or émaillée de blanc, supportée par un ruban noir".
Anne avait une vie très remplie puisqu'elle avait maintenant cinq enfants et deux propriétés à gérer : Parençay et le Fief. Les enfants n'étaient pas toujours à la maison puisque Constance et Caroline furent élevées en partie à la maison royale de Saint-Denis (devenue maintenant la maison de la Légion d'Honneur), Henri et Octave au collège royal de Senlis. Que d'évolution des moeurs depuis deux siècles! Maintenant un enfant est mis en pension à une distance correspondant au maximum à une heure de voiture de ses parents et revient chez eux toutes les semaines. A cette époque on ne cherchait pas le confort de l'enfant : Henri de la Rochejaquelein en Languedoc, Charles de Beaucorps à Vannes, ses enfants au nord de Paris ! Cela représentait pour y aller environ trois jours de diligence et l'on ne revenait donc qu'une fois par an. C'est vers l'âge de dix ans que commençait cette énergique éducation. Rien d'étonnant alors au fait qu'à 15 ans on pouvait en faire un soldat ou un marin et à 20 ans... un chef. Le ménage va rester à Parençay jusqu'en 1823 date à laquelle Charles sera nommé secrétaire général de la préfecture des Deux-Sèvres. Il vint alors s'installer à Niort avec sa famille. C'était pour Charles un lot de consolation car il aurait espéré une préfecture avec l'appui de sa belle famille bien en cour. Celle-ci n'était pas restée inactive mais il y avait beaucoup de fidèles royalistes à récompenser...
C'est pendant le ministère Decazes, donc sans doute en 1819, que l'on peut relater le fait suivant montrant que malgré ses cinq maternités et l'âge de 45 ans Anne n'avait pas perdu la forme physique. Decazes était, par rapport à l'époque, un ministre libéral. C'était l'opposé de Villèle l'ancien camarade de collège de Charles et qui d'ailleurs succédera à Decazes quand ce dernier sera révoqué. Auguste de la Rochejaquelein a été fait en 1818 Maréchal de Camp comme l'était son père; malgré sa haute position, ou peut être grâce à cette haute fonction, il n'hésite pas à prendre des positions nettement anti-gouvernementales. On soupçonna Auguste d'avoir fait parti d'un complot contre Decazes; Anne apprit à Saint-Jean d'Angély qu'on allait arrêter son frère. Elle rentra en hâte à Parençay, prit son fidèle Adon et avec deux chevaux ils allèrent d'une seule traite jusqu'à Saint-Aubin pour le prévenir. La distance couverte sans s'arrêter représentait presque 150 km !

A l'arrivée elle était tellement brisée de fatigue qu'elle ne pouvait pas descendre de cheval. Pour comble de malheur, son frère le Général, était parti pour Paris une heure avant son arrivée. En fait, il ne fut pas inquiété puisque l'aile ultra prit le dessus sur l'aile libérale et que c'est Decazes qui dût quitter le Gouvernement.
Charles avait été nommé secrétaire général des Deux Sèvres en 1823, avec l'espoir d'avoir une préfecture; il était toujours au même poste en 1827. Anne monta donc à Paris pour essayer d'obtenir ce que son mari souhaitait.
"Durant tout le mois de décembre qu'elle passa à Paris, Madame de Beaucorps ne cessa de travailler pour l'avancement de son mari. Celui-ci lui conseilla de se faire conduire chez le Roi par son frère le Général Auguste ou près de la Dauphine par la Comtesse Auguste très bien en cour. La Duchesse d'Angoulême reçut la soeur la Rochejaquelein, avec toute la bonté imaginable et l'air triste qui lui était habituel, mais elle lui déclara ne pouvoir se mêler de l'affaire qui l'amenait à Paris. Tous ces déboires étaient acceptés de part et d'autre avec une grande résignation".
Charles de Beaucorps nous rapporte une autre occasion où Anne se servit de ses relations familiales pour intervenir à la Cour :
"Vers la fin du règne de Charles X, ayant eu connaissance d'une manière positive d'un complot tramé contre le Roi, elle partit de Niort vers Paris, se présenta aux Tuileries comme soeur de généraux vendéens, obtint d'être introduite auprès de Charles X, auquel elle montra les preuves d'une conspiration contre sa vie, et comme le malheureux souverain lui disait qu'il en avait fait le sacrifice, elle lui répliqua: "Sire, avez vous bien le droit de sacrifier en même temps la vie de vos plus fidèles serviteurs qui sont prêts à verser leur sang pour vous maintenir sur le trône ?".
Elle prit congé du Roi déplorant sa faiblesse qui devait aboutir à la catastrophe de 1830. "La Révolution de 1830 fut un désastre pour la famille. Ne voulant pas prêter serment au nouveau gouvernement, le vicomte de Beaucorps donna sa démission de préfet de Charente. Son fils aîné, officier des Eaux et Forêts, renonça à sa carrière pour la même raison et le cadet abandonna son projet d'entrer dans l'administration. Tous revinrent à Parençay mener une existence assez retirée et peu confortable sans autre occupation que la gestion des propriétés de famille. Tandis qu'Octave s'attachait à l'administration du Fief, Henri trouvait quelque emploi à son activité dans la terre de Saint-Martin, acquise par ses parents en 1841 pour lui procurer une occupation agricole. Cette acquisition ne fut pas une opération lucrative; il fallut emprunter une somme de 100.000 francs dont les intérêts n'étaient pas en rapport avec le revenu de la propriété".

En ce qui concerne les problèmes de propriété il faut signaler que le jeune ménage avait hérité après la mort de Anne-Henriette du Rabot ; en effet ses biens furent estimés 260.000 francs et partagés également entre les cinq neveux ou nièces. Anne hérita donc du Rabot qu'elle revendit à son frère Auguste comme elle l'avait fait pour sa part de la Durbelière. Comme Auguste n'aura pas de descendance tous ces biens reviendront aux héritiers de Louis, (donc aux Arné via les Saint-Saud). On se souvient il y a quelques paragraphes que la venue de Louis-Philippe fut une catastrophe pour le ménage Beaucorps ; elle ne fut pas mieux acceptée par les la Rochejaquelein et la famille des Deux-Sèvres se trouva au centre d'un soulèvement en 1832 où Auguste agissait à Saint-Aubin, son épouse à la Gaubretière et la veuve de Louis à Boismé. L'épouse d'Auguste cernée dans son château par un bataillon d'infanterie réussit à se sauver en se déguisant en femme de basse-cour. Mais ce qui est beaucoup plus important pour la suite de notre récit est le fait que la marquise de la Rochejaquelein, veuve de Louis, fut proscrite de Vendée ; elle alla s'installer à Orléans ce qui aura beaucoup de conséquences pour la famille Beaucorps.
Elle avait alors 60 ans et se fixa avec sa mère, la marquise de Donissan, encore vivante, au cloître Saint-Aignan où elle habitait l'ancien hôtel de Louis XI. Cette ville avait été choisie car c'est là que devaient être jugés les chefs de l'insurrection ; elle pouvait leur venir en aide physiquement et moralement. Le procès terminé, elle écrivit le 7 juillet 1833 à Anne :
"Ici, nous sommes en paix et qui que ce soit ne nous a fait de grimace depuis que nous y sommes. Au contraire, on nous traite avec toute sorte de politesse et de bienveillance. Cette ville est le séjour de la paix. On y est très soumis au gouvernement, fort indifférent à la politique et d'une charité inépuisable pour les prisonniers, pour les pauvres enfin pour tout être souffrant".

La marquise de la Rochejaquelein gardait des liens étroits avec sa belle-soeur Anne et c'est tout naturellement qu'elle s'occupa de l'établissement de son neveu Octave qu'elle aimait beaucoup. Elle avait écrit à Anne en 1829 :
"Je peux vous dire mille biens d'Octave. Il est remarquable. Il est rare d'être aussi bien. J'espère qu'il conservera ses venus. Il promet de devenir tout ce qu'on peut désirer sur tous les points. Vous avez là un fils qui vous fera honneur et bonheur".
En fait, il n'était pas facile de bien l'établir car la situation de fortune de Charles était très éloignée de celle de son père François : les achats du Fief et de Saint-Martin, n'avaient pas été de brillantes opérations financières. De plus Octave était timide et renfermé. C'est ainsi que pour Octave sa tante pensa à Mademoiselle Elise Boucher de Molandon. Son frère Rémi, homme très brillant intellectuellement était l'un des légitimistes les plus fidèles ; il laissera une oeuvre historique très importante notamment sur Jeanne d'Arc. Le mariage fut célébré le 28 mars à Orléans. Elise était petite et boulotte, entièrement sous la dépendance de sa mère qui la retenait auprès d'elle. Octave ne pouvait aller comme il l'aurait voulu dans sa chère Saintonge où l'attiraient ses parents et la terre du Fief à laquelle il était très attaché. C'est donc l'exil de la marquise de la Rochejaquelein qui a conduit une branche des Beaucorps à s'installer en Orléanais, branche qui deviendra à partir de la deuxième moitié du XXe siècle la branche la plus nombreuse de la famille. La marquise de la Rochejaquelein s'éteignit à 84 ans le 15 février 1857 à la suite d'une attaque de paralysie qui lui avait ôtée la parole. Des neuf enfants qu'elle avait eus avec Louis, seul son fils Henri donna pour une certaine durée une lignée du nom, nom qui s'éteignit avec la mort de son seul fils Julien en 1897 et nom que ce dernier avait demandé de ne pas voir repris. Elle avait eu la douleur de perdre deux de ses filles. Elle écrivit à Anne en 1829 :
"Ma Victoire, dont l'âme est aussi belle que la figure est morte comme une sainte. Elle a été adorable jus qu'au dernier moment. Quelle perte! Quel chagrin et que son mari est à plaindre. Comme il l'aimait! C'étaient deux anges".
Et c'est à Charles qu'elle écrira trois ans plus tard après la mort de Louise :
"C'est un ange que Dieu a appelé dans le ciel. Son esprit, son amabilité, sa piété, sa douceur, la rendaient trop parfaite pour la terre ... Elle a cessé de vivre dans la nuit du 2 au 3 octobre ayant non seulement reçu tous les sacrements mais ayant elle même exhorté sa mère à se soumettre à la volonté divine. Sa résignation était si admirable que le curé de Pau qui l'a assisté en était dans le ravissement".
Anne connut la même douleur que sa belle-soeur. En effet sa fille Caroline née le 9 septembre 1807 était de santé fragile et vivait chez ses parents après avoir fait son éducation à la maison royale de Saint-Denis. Elle mourut à l'âge de 24 ans et fut enterrée à Bernay.
Après la révolution de 1830 qui avait ramené tout le monde à Parençay on y vivait de la façon la plus simple. Charles avait gardé de son noviciat à Malte des habitudes de religieux. Il allait en général tous les matins à pied assister à la messe à Bernay et la seule distraction du lieu était la visite des voisins et des parents. Le comte Charles de Beaucorps mourut à Parençay en juin 1850. Le partage des biens effectué en 1848 indiquait les actifs suivants (en francs) :

  • Le fief 303.500
  • Saint-Martin 200.000
  • Parençay 314.700
  • et 36.650 litres d'eau de vie 50.000
    Soit un actif de 868.200

On était loin de la fortune du père de Charles. Le marquis François de Beaucorps qui avait laissé en 1783 une fortune de 1.500.000 livres, or une livre d'avant la Révolution avait un pouvoir d'achat très supérieur au franc d'après la Restauration.
Après avoir laissé une rente viagère à Caroline (religieuse bénédictine), les biens furent partagés entre les trois enfants qui eurent une descendance : Constance, comtesse de Jansac, Henri, comte de Beaucorps et Octave, vicomte de Beaucorps.
Ce fut ce dernier qui hérita du Fief auquel Anne tenait tant ; cette propriété est encore dans la famille.
Anne s'éteignit au château de Parençay deux ans après son mari, le 20 mai 1852

FIN

Georges de Beaucorps, auteur de cette biographie, a rassemblé les six chapitres en un tiré à part sous couverture cartonnée, édité à compte d'auteur. Prix (franco) : 1 ex. 40 F - 2 ex. 70 F - 4 ex. 120 F commandes à adresser à
G. de Beaucorps "Le Parc" 41100 VILLETRUN