Moins connu
peut-être que ses frères aînés Henri
et Louis, Auguste de la Rochejaquelein est néanmoins un
personnage remarquable de notre famille. Avant-dernier des sept
enfants du marquis et de la marquise de la Rochejaquelein, il
est né le 17 avril 1784, non pas à la Durbelière
comme ses frères et soeurs, mais au manoir du Mitteau,
près de la Jaudonnière, chez ses grands-parents
maternels Caumont où toute la famille était venue
se réfugier à la suite d'une épidémie.
Sa petite enfance se déroule à la Durbelière
où il reçoit de sa mère une éducation
simple mais solide, en même temps que quelques principes
profondément chrétiens auxquels il restera fidèle
toute sa vie. Comme ses aînés, il est également
très tôt familiarisé avec les exercices physiques :
on raconte qu'à l'âge de six ans, il suivit sa première
chasse monté sur un petit mulet. Le cours de cette existence
paisible et chaleureuse est soudain bouleversé par les
événements révolutionnaires. En effet, après
une première tentative d'émigration en Belgique
en 1790 qui se révèle décevante, le marquis
de la Rochejaquelein décide de partir pour les Antilles
exploiter lui-même la plantation qu'il tient de sa femme.
N'ayant pu obtenir de passeport, c'est clandestinement que la
famille passe en Angleterre à l'automne 1792. Seuls restent
en France Constance, qui vient de donner naissance à son
premier enfant, et Henri qui a été nommé
dans la Garde constitutionnelle de Louis XVI. De là, les
parents et Louis s'embarquent à destination de la Jamaïque,
laissant les plus jeunes sur place. Anne, Louise et Lucie sont
placées dans un pensionnat à Richmond, près
de Londres, tandis qu'Auguste, qui n'a que huit ans, est confié
à une famille de la ville. Ils ne devaient plus jamais
revoir leur mère. "Mon petit Auguste, écrit
la marquise à sa fille aînée, comme il aura
été embarassé... il est si seul, sers-lui
de mère".
Ce que fut son existence en Angleterre durant ces années
nous l'ignorons, mais cette solitude représente pour un
enfant si jeune une épreuve très dure qui a dû
le marquer profondément. Aguerri par force, il apprendra
à cacher ses sentiments personnels derrière une
apparente réserve. Son père voulait le destiner
au commerce, sa mère, issue d'une famille de navigateurs,
souhaitait en faire un marin. En 1798, il s'engage dans la marine
anglaise et effectue deux années de campagne sur les côtes
d'Amérique.
Il rentre en France en 1801 mais, n'ayant pas été
rayé de la liste des émigrés, il est aussitôt
arrêté, puis relâché grâce à
une intervention de la municipalité de Saint Aubin de Baubigné.
Au Rabot, la demeure de sa tante Anne-Henriette, il va retrouver
Louis et sa soeur Lucie, et passer là quelques années
dans un climat chaleureux qui lui rappelle son enfance. Il doit
sans doute s'occuper de la gestion des fermes familiales, car
il se dit lui-même "agriculteur".
Mais le gouvernement de Napoléon éprouve alors une
grande méfiance pour les anciens chefs vendéens
et les membres de leur famille, constamment soumis à des
pressions pour les faire adhérer au nouveau régime.
"Nous vivions dans une tyrannie qui ne nous laissait ni
calme ni bonheur" écrit madame de la Rochejaquelein
dans ses " mémoires ". Grâce à son
état de chef de famille, Louis parvient à éviter
l'enrôlement, mais en 1809, Auguste est placé devant
une cruelle alternative : s'engager dans l'armée ou être
arrêté. Après un refus qui lui vaut deux mois
de prison, il finit par céder, préférant
encore l'action à la captivité.
Jeune sous-lieutenant de cavalerie, il participe en 1812 à
la campagne de Russie. A la bataille de la Moskowa, rapporte Chateaubriand
dans les Mémoires d'Outre-tombe, quatre-vingt mille hommes
furent mis hors de combat. Trente mille d'entre eux appartenaient
à la France. Auguste de la Rochejaquelein eut le visage
fendu d'un coup de sabre et demeura prisonnier des moscovites.
II rappelait d'autres combats et un autre drapeau de cette glorieuse
blessure, il conservera une cicatrice et le surnom de "balafré".
Revenu de captivité à la Restauration, il est nommé
lieutenant dans les grenadiers de la maison du Roi. Mais à
peine quelques mois se sont-ils écoulés, que Napoléon
rentre de l'île d'Elbe et Louis XVIII doit à son
tour prendre le chemin de l'exil. Tandis que Louis de la Rochejaquelein
se rend en Angleterre pour y chercher un appui et des armes, Auguste
demande son congé pour aller servir en Vendée, soulevant
le pays bressuirais et cherchant à s'emparer de munitions.
Au mois de mai, il se bat aux côtés de son frère,
revenu d'Outre-Manche et nommé général en
chef de l'armée vendéenne. Lui-même commande
l'armée du Haut-Poitou. Mais en raison du manque de préparation
et surtout des dissensions entre les chefs, ce soulèvement
aboutit rapidement à un échec. Le 4 juin, dans un
combat sur la côte vendéenne, Louis est tué,
Auguste blessé. Quelques jours auparavant, leur beau-frère
Jacques de Guerry avait également trouvé la mort.
Pour ne pas accroître les divisions, Auguste renonce à
remplacer son frère comme général en chef,
comme certains l'y encourageaient, se contentant de la fonction
de major général. Malgré les propositions
de paix des généraux de Napoléon, il refuse
d'engager des pourparlers tant que la légitimité
n'aura pas été restaurée, parlant même
de vendre tous ses biens au profit des Vendéens et de se
retirer en Angleterre pour ne pas faillir à sa parole.
C'est alors que survient la nouvelle de la défaite de Waterloo.
Il renonce désormais à poursuivre la lutte, considérant,
selon ses propres termes, que "celui qui ferait encore
verser du sang en serait responsable à la nation".
De ce soulèvement manqué de 1815, il restera chez
les Vendéens une profonde amertume, celle de voir le Roi
rentrer d'exil non pas au prix des sacrifices qu'ils ont consentis,
mais grâce à l'appui des armées étrangères.
Selon le mot terrible de Chateaubriand, "la légitimité
rentrait dans Paris derrière ces uniformes rouges qui venaient
de reteindre leur pourpre au sang des Français".
La moitié du territoire est en effet occupée par
les armées alliées. C'est alors qu'oubliant tout
esprit partisan et songeant seulement à la France, Auguste
de la Rochejaquelein écrit à son ennemi d'hier,
le général Delaage, et lui offre ses services pour
défendre le pays.
Avec la seconde Restauration, s'ouvre une nouvelle période
de sa vie. Il entame, en effet une brillante carrière militaire.
En novembre 1815, il est nommé colonel d'un régiment
de grenadiers à cheval. Soupçonné un temps
d'avoir conspiré avec le parti ultra, il est néanmoins
nommé maréchal de camp en 1818.
L'année suivante, il épouse Félicie de Duras,
veuve du prince de Talmont, le fils du chef vendéen. La
mère de la jeune femme, Claire de Kersaint, duchesse de
Duras, est surtout connue aujourd'hui pour ses romans, son salon
littéraire et sa passion malheureuse pour Chateaubriand.
Elle était très opposée à cette union,
ne trouvant pas le parti assez glorieux pour sa fille. Dans une
lettre à sa soeur Constance où il annonce son mariage,
Auguste laisse transparaître son bonheur et un peu de cette
sensibilité qu'il avait plutôt accoutumé de
refouler : "J'ai la certitude d'obtenir enfin Félicie.
Son plus grand désir est de vous voir. Elle vous aimera,
elle aimera la Vendée". La comtesse de la Rochejaquelein
était une femme exceptionnelle, passionnée, intransigeante,
souvent impitoyable dans ses jugements. Elle montrera un grand
courage quelques années plus tard.
En 1823, Auguste participe à la guerre d'Espagne, et s'illustre
notamment à la prise du fort de Trocadéro à
Cadix. Son retour en France coïncide avec la mort de Louis
XVIII et l'avènement de Charles X, auquel il voue dès
lors une fidélité sans faille. En 1824, il achète
le château de Landebaudière (où a eu lieu
en 1992 notre réunion familiale et la belle exposition
organisée par oncle Amblard sur les portraits des soldats
vendéens). Il connaît alors une certaine faveur à
la cour et la comtesse de la Rochejaquelein devient dame d'honneur
de la duchesse de Berry. Ils sont sans doute à l'origine
du voyage qu'effectué cette princesse en Vendée
en 1828. Elle est reçue successivement à Landebaudière,
puis à la Durbelière, où a lieu un grand
banquet resté dans les mémoires des habitants de
Saint-Aubin de Baubigné plus de cinquante ans après.
En 1828, malgré les appels pressants de son épouse,
il ne participe pas directement au soulèvement vendéen
fomenté par l'entourage de la duchesse de Berry. Si son
nom figure bien au bas de la proclamation de prise d'armes, il
se trouve en fait à l'étranger. La comtesse de la
Rochejaquelein, en revanche, fait alors preuve d'une grande intrépidité :
arrêtée par la police, elle parvient à s'évader
et vivra deux ans dans la clandestinité, habillée
en fermière. Auguste est néanmoins condamné
à mort par contumace en 1832. A cette date, il est au Portugal
en compagnie de plusieurs officiers vendéens pour combattre
aux côtés des partisans du Roi légitime, Dom
Miguel. A nouveau blessé, il voit mourir son neveu Louis
âgé de 24 ans.
En 1835, il est finalement acquitté, le tribunal ayant
reconnu qu'il ne se trouvait pas en Vendée au moment de
l'insurrection. Mais n'ayant pas prêté serment au
nouveau régime, il est considéré comme démissionnaire
de l'armée. Il n'exercera plus ce métier militaire
qu'il aime tant et qu'il considère comme la seule façon
de servir son pays. Homme d'action avant tout, il va désormais
consacrer l'essentiel de son énergie à la chasse,
au grand désespoir de la comtesse de la Rochejaquelein
qui rêvait pour lui d'actions plus glorieuses.
Il partage son temps entre Paris, où il est très
peu, et surtout le Rabot et le château d'Ussé en
Touraine, propriété de sa femme. Il participe à
toutes les chasses à courre de la région, à
Saint-Aubin comme en forêt de Chinon ou même à
Chambord. Il possède lui-même un équipage
et une meute qui sont installés à la Durbelière.
Il avait fait fabriquer par les artisans de Saint-Aubin une voiture
dont la caisse pouvait se transformer en bateau, pour poursuivre
le cerf jusque dans l'eau ...
Au physique, il était d'une haute taille, l'allure et le
ton militaires, et avait, dit-on, une grande ressemblance avec
son frère Henri. Il cachait sous des dehors assez raides,
une grande sensibilité et un coeur généreux.
Peu soucieux de luxe et de confort, menant une vie simple, il
était connu dans le pays pour sa piété et
sa bonté. Son neveu Auguste de Chabot a raconté
comment "le Rabot ne désemplissait pas de nécessiteux
pendant tout le temps que mon grand-oncle y séjournait.
Quand il n'avait plus d'argent, il allait dans le bourg chez des
amis. "As-tu de l'argent, disait-il? -Oui mon général,
et combien vous faut-il? -Donne moi 20 francs ou 30 francs".
Et la rue n'était pas traversée qu'il n'avait plus
rien à donner".
Il était très attaché aux liens familiaux
et, n'ayant pas eu d'enfants, il avait reporté son affection
sur ses neveux, en particulier Jules de Guerry qu'il avait quasiment
adopté après la mort de son père. Il s'est
éteint en 1868, à l'âge de 84 ans. Avec lui
disparaissait une grande figure de notre famille et un des derniers
grands noms de la Vendée.
François Arné
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