BULLETIN 1994

Anne de la Rochejaquelein

- CHAPITRE IV -
Retour en France, Mariage.

Vers la fin de janvier 1803, Anne et Louise s'embarquèrent à Port Républicain (Port aux Princes) munies d'un passeport du Général de Rochambeau (fils du Maréchal).
Elles débarquèrent à Nantes le 15 avril, donc après plus de deux mois de mer ! Mais laissons la parole au Comte Henri de Beaucorps :
"Elles vinrent débarquer à Nantes emmenant avec elles un jeune nègre (Adon) de leur habitation qui les avait suivies et que ma mère conserva comme un domestique jusqu'à sa mort en 1819. Ma mère arrivée en France avec son petit esclave noir eût la chance de le faire passer à la douane en le cachant derrière des ballots. Si quelque employé de mauvaise volonté l'eut remarqué en débarquant, il aurait été malgré lui réexpédié en Amérique comme esclave émancipé.
Dans ces temps de moeurs simples et de circulation difficile, ma mère emmena son petit nègre à cheval en croupe derrière elle pendant une portion du trajet de Nantes à Saint-Aubin où elle arriva avec sa soeur Louise chez sa tante Mademoiselle de la Rochejaquelein. Ce fut là que la famille se réunit, chacun arrivant de son côté de pays lointains.
La Durbelière était brûlée depuis plusieurs années à l'exception de la tour des archives, à la porte de laquelle les bleus avaient inutilement allumé du feu.
Mon oncle Auguste quittant le service de l'Angleterre aussitôt qu'il eût appris qu'il pouvait rentrer en France revint à peu près en même temps que ma mère à Saint-Aubin."

La première maison où il vint frapper en arrivant dans son pays fut le Beignon chez Madame de l'Eguillé, grand-mère de Messieurs Isle de Beauchaine. Le château de Beignon situé près de Pouzauges en Vendée devint par la suite la propriété du Comte Henri de Beaucorps qui en fit l'acquisition. C'est là que s'installa sa fille, la Comtesse Charles Aymer de la Chevalerie, ancêtre d'une branche nombreuse de la famille des descendants de la Rochejaquelein.
A son arrivée à Saint-Aubin, Anne s'installa chez sa tante. Le château familial avait été incendié une première fois le 16 août 1793 : la vengeance des bleus n'avait pas été longue. Rappelons nous en effet que c'est le 12 avril 1793, qu'Henry avait été surpris de trouver la cour du château pleine de paysans : "Monsieur Henry, mettez vous à notre tête, défendez nous" et lorsque l'un d'eux ajoute "Si votre père était là, il n'aurait pas peur de marcher, lui." Henry ne pouvait faire autrement que d'accepter. Le 13 avril il avait déjà 300 "soldats" auxquels il avait lancé cette phrase célèbre :

"Si j'avance : suivez-moi, si je recule : tuez-moi, si je meurs : vengez-moi."

Cette troupe marcha alors sur Cholet, Vezins puis sur Beaupréau où eût lieu la deuxième victoire de l'insurrection. Mais la vengeance des bleus ne s'était pas fait attendre et dès le 16 avril le château avait été pillé et incendié.
Ils reviendront plusieurs fois et l'on comprend qu'après la guerre et sans propriétaires, puisque le Marquis et la Marquise étaient décédés au loin, le château n'était plus habitable. A quelques consolidations près, il est resté dans l'état où l'ont laissé les bleus, les propriétaires actuels, le Docteur et Madame Arné veillent soigneusement sur ces ruines si chargées d'histoire. Sans parents, sans domicile, la mère adoptive fut donc Anne-Henriette qui habitait avec sa soeur Agathe, la maison du Rabot dans le bourg de Saint-Aubin de Baubigné. Anne-Henriette était née donc juste un an après le Marquis (1749); Agathe était la dernière et s'était faite religieuse en 1776 donc à 23 ans; elle fut chassée de son couvent par la Révolution, vint vivre chez sa soeur Henriette et y mourut comme elle en 1810.
Henriette avait pris son indépendance de la maison de famille en se faisant construire en 1785 la maison Rabot située contre l'église du village. En fait une maison moins importante préexistait déjà, maison qui ne fut pas démolie et se trouva encastrée dans l'importante maison XVIIIe. Cette belle maison parfaitement conservée appartient, comme la Durbelière, aux Arné. Henriette continuera durant toute la Révolution à maintenir la présence locale de la famille, en soulageant la misère de tous ceux qui en avaient besoin. Elle dût quitter sa maison après les massacres de Vezins (mars 1794) et trouver abri chez l'ancien jardinier de la Durbelière ou chez des paysans.
Elle ne revint chez elle qu'en 1797 mais ne s'était jamais éloignée de Saint-Aubin. Elle avait tissé de tels liens avec la population qu'elle ne voulait à aucun prix quitter la région même si elle fut longtemps sans pouvoir rentrer dans sa maison du Rabot. Elle était désignée dans la région sous le nom de "la grande blanche" car elle s'habillait toujours d'une grossière toile blanche. Si elle était considérée comme étant la providence du village, elle l'était aussi pour la famille. Pendant la tourmente elle reçut plusieurs fois la visite d'Henry. Après son retour chez elle, sa maison servit de lieu de ralliement pour la famille. Lucie était arrivée la première en août 1797, Louis arriva le second en 1801, puis Auguste en 1802, Anne et Louise arrivent donc le 25 avril 1803, soit dix jours après leur débarquement à Nantes.
Essayons de nous représenter la situation de la France et de la Vendée que vont trouver les exilées à leur retour à Pâques 1803. Le Concordat, qui pacifiait la France mais assujettissait l'église au pouvoir temporel, avait été signé le 15 juillet 1801. Souvenons nous qu'une partie des catholiques avait refusé le Concordat pour former "la petite Eglise" qui devint schismatique par rapport à Rome. Mais ne croyons pas que la guerre de Vendée était loin, car beaucoup ignorent que le calme n'était pas totalement revenu après la mort de Charette le 27 mars 1796. Il y eût des escarmouches en 1797 et 1798 mais la guerre s'était à nouveau allumée en juin 1799, car le Directoire ayant besoin de troupes, avait rétabli la conscription. Or les Vendéens préféraient combattre la République que de la servir. Pendant tout l'été il y eût des combats où s'illustrèrent d'Autichamps et Suzannet en Vendée mais aussi Cadoudal, Frotté et Bourmont en Bretagne et Normandie. Puis le calme était enfin revenu après le Concordat signé en 1801 et promulgué à Pâques 1802.
Nos deux voyageuses arrivèrent donc dans un monde enfin pacifié et tout ce qu'il restait de la famille était réuni. "Anne-Louise et Louise-Josèphe arrivèrent chez moi où j'eus le plaisir de réunir les deux frères, les quatre soeurs et le beau-frère" écrira Anne-Henriette.
Anne ne resta pas longtemps chez sa tante. En effet dès 1804, elle épousa le Comte Charles de Beaucorps. Les Beaucorps avaient les mêmes traditions politiques et religieuses que les la Rochejaquelein. Cette famille originaire de Bretagne (Pléboulle près de Saint-Cast) avait migré à travers la France.
Le premier Beaucorps connu, Geoffroy avait participé au "Combat des Trente" lors des combats opposant pendant la guerre de Cent Ans les partisans de Charles de Blois et ceux de la cause anglaise. Puis cette famille installée dans le Dunois au XVe siècle avait au XVIe siècle quitté la Beauce pour la Saintonge.
On ne sait si le Beaucorps qui migra le premier avait embrassé la réforme mais il est certain que ce furent les guerres de religion qui occasionnèrent ce changement de province.
Le Marquis François de Beaucorps, père de Charles, était Seigneur de la Bastière, avait été écuyer aux écuries du Roi, puis chevau-léger de la garde royale ; il avait épousé Madeleine du Souchet de Maqueville en 1761. Il était mort prématurément à l'âge de 50 ans en laissant neuf enfants et une fortune estimée à 1.500.000 livres.
Des liens s'étaient déjà tissés avant la Révolution entre les deux familles. En effet le cinquième enfant de François Marquis de Beaucorps, , Henri Madeleine avait le désir d'entrer dans la marine. Pour l'en dissuader sa mère l'emmena à Niort et demanda au Marquis de la Rochejaquelein, qui y tenait garnison, de le prendre dans son régiment "Royal Pologne". Henri, né en 1768, avait alors 17 ans et il se lia d'amitié avec le fils de son Colonel, Henri le futur héros des guerres de Vendée.
Ce dernier avait trois ans et demi de moins que lui. Henri de Beaucorps allait passer ses vacances à la Durbelière. Charles de Beaucorps rapporte : "Celui qui devait se montrer un chef intrépide était alors très timide; il avait peur des écureuils, des belettes. Son ami lui apprit à monter à cheval et sur la demande de son père il l'emmenait à l'affût aux lapins pour l'aguerrir". Ce Henri de Beaucorps est l'ancêtre de l'actuelle branche aînée de la famille de Beaucorps.
Charles le huitième enfant était né à la Bastière le 8 septembre 1774 ; il alla d'abord en pension à Niort puis à l'école militaire de la marine à Vannes où il eut pour camarade Villèle, le futur ministre de Charles X.
Pendant la Révolution il avait servi avec ses deux frères Henri et Angélique, aux armées de Condé, comme le raconte Charles de Beaucorps dans l'histoire de la famille:
"Quant à Charles, il se réunit avec les autres émigrés du pays de Liège pour arrêter les mouvements révolutionnaires et les soulèvements qui, en 1794, se produisirent sur le derrière de l'armée cette année et en 1796. Intelligent, adroit, d'un caractère très gai, il était fort aimé de ses camarades et leur rendait service par ses talents culinaires que l'on mettait souvent à contribution". En 1797 il partit pour Malte. Charles avait en effet été reçu dans l'ordre de Malte par bref du Pape du 17 avril 1779 (donc à l'âge de 5 ans) et confirmé en 1789 après enquête sur la noblesse de la famille. Il partit donc là-bas faire son noviciat. L'archiviste Charles de Beaucorps nous raconte :
" Vers la fin de 1797, Charles de Beaucorps quitta l'armée de Condé pour se rendre à l'île de Malte afin d'y faire son noviciat de Saint-Jean de Jérusalem et accomplir ses "caravanes", c'est à dire les voyages sur mer auxquels étaient astreints les futurs chevaliers ; il les fit en compagnie du chevalier de la Laurencie, du commandeur de Bréuond, des chevaliers de Poudras, de Lasreyrie, de Janvre. Ces caravanes consistèrent en des expéditions contre les pirates..."
Le premier consul poursuivant sa route vers l'Orient laissa comme gouverneur à Malte le comte Régnault de Saint-Jean d'Angély, celui-ci avait quelques obligations envers la famille de Beaucorps pour des services rendus à son père par le marquis de Beaucorps. Voulant témoigner au fils sa reconnaissance, il manda à son cabinet le chevalier de Beaucorps, et lui offrit de le faire nommer aide de camp de Bonaparte. Celui-ci refusa et demanda seulement de rester quelques jours dans l'île avec le commandeur Pacca, qui y possédait des propriétés et avait des affaires d'intérêt à régler.
Le commandeur Pacca avait une affection particulière pour le chevalier de Beaucorps. Il l'emmena dans sa famille à Naples, où il resta jusqu'au printemps de 1801. Il visita les environs de cette ville et une partie de l'Italie.
C'est probablement par l'entremise du cardinal Pacca, frère du commandeur qu'il obtint une audience du Pape Pie VI. Comme il se prosternait pour baiser la mule du Pape, celui-ci le releva et lui tendit la main en disant : -"Les privilèges des chevaliers de Malte vous donnent le droit de baiser la main du Pape et non le pied". Il le releva aussi d'une chose assez embarrassante, ses voeux religieux qui l'obligeaient au célibat, ne lui laissant d'autre obligation que "des offices et des prières à réciter." Vers la mi-avril 1801 Charles de Beaucorps arrivait à Paris avec les Bizemont ; il y retrouvait son frère Angélique licencié de l'armée de Condé. Ils partirent ensemble le 22 mai pour le château de la Borde où se trouvait Madame de Milon, née Créquy, sa fille Madame de Beaucorps et les enfants de celle-ci : Ferdinand et Alexandrine. Leur frère Henri vint les y rejoindre. Angélique et Charles partirent le 1er août pour aller retrouver leur mère à Parençay, quant à Henri il demeura pour faire la cour à sa nièce qu'il devait bientôt épouser. Tel était donc Charles que Anne venait d'épouser.
Ils revinrent en Saintonge où Charles prit en mains l'administration de Parençay. Rappelons que son père, François était mort prématurément, il y avait plus de vingt ans. Le jeune ménage s'installa donc à Parençay, commune de Bernay entre Surgères et Saint-Jean d'Angély ; François avait acheté en 1774 cette seigneurie pour 150.000 livres. A leur arrivée Charles et Anne avaient tous deux 30 ans. Le baron Adalbert de Beaucorps, leur petit-fils a décrit les bâtiments d'habitation puisque plus rien n'en subsiste sauf la grande porte d'entrée de la cour.
Les bâtiments d'habitation formaient les trois côtés d'un carré ouvert au nord... Cette petite cour était fermée au nord par un mur bas avec deux piliers de deux à trois mètres de hauteur. En face de la porte de la salle à manger, donnant au midi, était un perron permettant de traverser une des branches du ruisseau de Bay et rejoignant la branche qui rejoignait la brûlerie. En face, sur une longueur de 100 à 200 mètres était un jardin potager, puis un très grand fossé et le parc où il y avait de beaux arbres : il avait plusieurs hectares. La brûlerie était traversée par une des branches du ruisseau, ce qui assurait un refroidissement parfait. Mais ce que ne dit pas cette description c'est qu'à son arrivée Anne trouve une maison en mauvais état extérieur et où à l'intérieur il n'y a plus de mobilier, pas même des chaises pour s'asseoir! Mais les dix dernières années en Angleterre et aux Antilles l'ont préparée à une vie difficile: elle fera face.
(A suivre...)

Georges de Beaucorps