LA CROIX DE MATHES

II y a cent vingt cinq ans

C'était à la fin du mois de mai dernier, je quittai Challans dans la matinée, avec quelques compagnons. La journée s'annonçait splendide. Le marais, couvert de prairies entrecoupées de champs de blé, forme un immense tapis de verdure s'étendant des rives du Bocage au pied des dunes qui dérobent au voyageur la vue sur la mer. Les arbres sont rares ; ça et là quelques bouquets semblables à des oasis s'élèvent de la plaine et indiquent la présence d'une ferme importante. Derrière nous, le Bocage, et devant nous, les dunes surmontées de moulins à vent limitent notre horizon et complètent le pittoresque du paysage que découpe le clocher du Perrier. Bientôt nous y arrivons.
Le chemin n'est pas montant comme celui de la Fable, mais il est aussi difficile à tenir. Grâce à l'habilité de notre conducteur, les cahots deviennent supportables et nous franchissons assez rapidement la distance qui nous sépare de l'Augère.
Nous remontons en voiture, et au travers des charraus, nous nous dirigeons vers les Mathes. Un chemin sablonneux y conduit. Encore quelques tours de roues et nous nous arrêtons au milieu des chaumes.
Nous sommes rendus, me disent mes guides.
Rien cependant n'indique un monument commémoratif. Quelques maisons éparses, du sable, un bouquet de blancs de Hollande et voilà tout.
Vous ne voyez pas une croix, là, au milieu des arbres, à cinquante mètres, me dit un de mes interlocuteurs ?
En effet, je la vois ou plutôt je la devine. Nous approchons : à l'extrémité d'une allée, formée par une vingtaine d'arbres chétifs et rabougris, un petit monticule et une croix massive sans architecture se découvrent à nos yeux.
Le petit monticule, surmonté d'un cippe, couronné d'une fleur de lys détruite par le temps ou par la main de ces hommes qui ne savent rien respecter, indiquent l'endroit où est tombé Louis de La Rochejaquelein. Hic cecidit, est-il écrit au sommet de cette petite colonne. Nous nous agenouillons au pied de la croix, et, après avoir prié, nous cherchons à lire l'inscription qui couvre son socle. Nous y parvenons ; la voici :


Sur ce tertre a été tué et ici couvert de terre Louis de La Rochejaquelein

Clément Poulain - Nantes, 12 juin 1880