Depuis juin dernier, deux expositions sont ouvertes, l'une à la Chabotterie, l'autre dans l'Hôtel du Conseil Général à la Roche-sur-Yon, pour commémorer les événements dont c'est le bicentenaire. À savoir le couronnement de Bonaparte et la promotion de la Roche-sur-Yon au rang de Préfecture de la Vendée.
Il s'agit de très belles expositions, dans de vastes locaux bien éclairés où la visite est planifiée et les explications abondantes sur de grands tableaux illustrés et bien lisibles. Plus de cinq cents objets de grande qualité ont été prêtés par les Musées Nationaux et par des particuliers. Ils concernent bien plus la famille impériale (le carrosse du sacre) et les serviteurs du régime que la Vendée elle-même.
C'est ainsi que les meubles exposés n'appartenaient pas à des Vendéens de souche mais à des administrateurs, des fonctionnaires, des officiers, sinon à des "patriotes", des "patauds", retourneurs de vestes, collabos et voleurs de "biens nationaux". Ceux-là ont laissé des traces. Mais les autres, y compris ceux qui étaient à l'aise avant la Révolution et qui rentraient d'émigration n'auraient pu se payer des meubles de style Consulat ou Empire ni se faire tirer le portrait par des artistes.
Quelques pièces, trop rares au demeurant, nous intéressent. Elles appartenaient à des résistants, passifs le plus souvent, parfois actifs dans l'ombre, ceux de la famille LRJ, les Suzannet, d'Andigné, les Guerry et d'autres, y compris le sulfureux chevalier de Maubreuil, beau-frère de Constance, celui que Talleyrand avait chargé d'abattre Napoléon en 1814.
Un très beau catalogue, avec une magnifique iconographie et des textes d'historiens renommés nous permet de mesurer ce que Bonaparte fit, en bien et en mal pour la Vendée et à travers elle, pour notre famille dont le rôle ne fut pas négligeable ; le terme de "famille" devant être pris au sens large, en englobant les ascendants des membres "rapportés", ou alliés aux générations suivantes.
Quelle opinion Bonaparte, avait-il des Vendéens ?
Il dit un jour : "J'aurais aimé être un Vendéen." En tant que militaire, il admirait leur courage, leur stratégie, "ils ont battu ceux qui avaient battu tous les autres", leur guérilla, nouvelle pour l'époque, leur savoir-faire, particulièrement celui des Pontonniers. Mais jusqu'où faut-il croire un Corse que sa terre natale ne passionna guère, la jugeant trop misérable pour servir de champ d'action à son "génie". Il l'abandonna vite et sans retour.
Connaissait-il la Vendée ?
Objectivement c'est
non. Il n'y passa exactement que quarante-deux heures en 1808. Une traversée
en ligne droite à toute allure. Il est vrai que, venant de Madrid à
ce moment-là, le moral n'y était pas.
En 1795, le gouvernement de la Convention lui avait donné, à deux
reprises, un commandement dans l'Armée de l'Ouest. Il se défila
en invoquant un mauvais état de santé, ce qui n'est pas prouvé.
Il est plus probable qu'il ne voulait pas se trouver sous les Ordres de Hoche,
son rival à l'époque. Il prétendit, beaucoup plus tard,
qu'il n'avait pas voulu "se battre contre des Français".
Ces bons sentiments ne l'avaient pas empêché le 10 Vendémiaire
an IV de mitrailler, devant l'église Saint Roch de Paris, les royalistes
dont beaucoup étaient de chez nous, commandés par un Angevin,
Edouard Charles Colbert de Maulévrier.
Qu'a donc fait Bonaparte pour les Vendéens ?
J'entends dire : la paix religieuse, le départ des "curés jureurs", le retour des "bons prêtres"... Mais vous savez que le Concordat, arraché au Pape par des mensonges éhontés était déjà une duperie avant d'être criminellement falsifié par les "Articles Organiques". L'Église était asservie, les biens du clergé, ce qu'il en restait, spoliés, les clercs nommés par le Pouvoir. Le Saint Père fut bafoué, injurié, emprisonné enfin. Même la Pragmatique Sanction de Bourges de 1438, qui ne durera que vingt-deux ans n'avait pas atteint un tel degré d'iniquité et d'exaction. Les Vendéens ne s'y trompèrent point, d'où le succès de la "petite Église" dont plusieurs membres de notre famille furent, leur vie durant, des apôtres persécutés. D'autres, des prélats, ne revinrent jamais en France.
J'entends aussi
: Le Code Civil. Bien sûr, mais n'oublions pas qu'il est par certains
côtés, plus ringard que le Droit Romain (droits des Femmes) et
moins adapté que les Coutumes Provinciales (droit d'aînesse).
Et nous arrivons à la promotion de la Roche-sur-Yon, jusque-là
petite bourgade bien tranquille au centre d'une principauté des Bourbon
Montpensier. Ce choix d'une nouvelle préfecture, officiellement motivé
par des raisons géographiques et militaires, était en réalité
l'assouvissement d'une basse vengeance envers les bourgeoisies républicaines
de Fontenay et de Montaigu.
Bonaparte ordonna de construire rapidement, et à l'économie, le
long de rues en damier, quelques bâtiments administratifs, y compris l'église,
sur un modèle de type caserne. Les maisons particulières furent
rares au début, faute d'habitants. Il en vint bien peu et la Roche végéta
cent-soixante ans, lanterne rouge, avec Mende, des préfectures, jusqu'au
récent et massif exode rural.
Une comparaison s'impose avec la ville de Richelieu qui fut, cent cinquante
ans plus tôt le fruit d'un urbanisme géométrique jugé
délirant pour l'époque. Il suffit de la traverser pour constater
que le Cardinal avait meilleur goût que l'Empereur.
Et les routes ? Une préfecture complètement isolée, cela
ne faisait pas sérieux. Il restait bien dans le département des
morceaux de voies romaines, mais ils passaient trop loin, sans connexion possible.
Alors on traça sur le papier quatre routes stratégiques : vers
Nantes, vers Cholet, vers Poitiers et vers Les Sables. Des routes "impériales".
Malgré leur nom, elles étaient, à la chute de Napoléon,
soit au pire "en devenir", soit au mieux "en construction"
donc inutilisables pour un déplacement rapide.
Même situation pour les voies "départementales". Quant
aux "vicinales" ce n'étaient que bourbiers impraticables qui
ne pouvaient remplacer les bons vieux "chemin creux" écologiques
qui, avec un simple entretien de proximité, remplissaient encore leur
office. Il est important de noter que faute de pouvoir embaucher des cantonniers
chez des paysans soupçonneux et revanchards, Bonaparte déporta
en Vendée plusieurs centaines de prisonniers de guerre, en majorité
des Prussiens, qui périrent tous de faim, de maladie et de froid.
Et pour finir, le cadastre. Revenu fiscal oblige, Bonaparte attachait une grande importance à une mise à jour rapide. Or, à part le cadastre de Dioclétien, il n'existait que des grimoires quasi inexploitables dans les "terriers" et les "chartriers" des châteaux, du moins ceux, bien rares, qu'on n'avait pas incendiés. Et le "rachat" de propriétés foncières, qualifiées "biens nationaux" par des bourgeois, spécialistes des limites imprécises et des bornes baladeuses, ne simplifiait pas le problème. On s'y attela dès 1804 mais à la fin de l'Empire on en était encore à des estimations qu'il fallut reprendre en 1821.
Voyons maintenant les relations entre Bonaparte et les LRJ.
Il aurait eu, disait-il
"beaucoup d'admiration" pour Monsieur Henri "qui sait ce que
serait devenu ce héros ?" on peut lui rétorquer que notre
oncle n'aurait jamais servi dans sa Grande Armée, même contraint
et forcé, comme ce fut le cas de son petit frère Auguste, un des
"malgré nous" de la Campagne de Russie".
Bonaparte déstabilisa l'Ordre de Malte auquel appartenait Jacques de
Guerry, le mari de Constance et plusieurs de ses cousins qui, n'en doutons pas,
se seraient illustrés dans la "Royale".
Il commit la faute criminelle de rétablir l'esclavage dans les colonies
le 10 floréal an X, ce qui entraîna des révoltes et la ruine
des planteurs. Avec la capture et l'emprisonnement de Toussaint-Louverture,
il plongea Haïti dans la situation épouvantable qu'aucune autre
Caraïbe ne connaît aujourd'hui.
En 1803, il brada(1) à Jefferson la Nouvelle Orléans et un territoire
qui représentait plus du tiers des États-Unis actuels : la vallée
entière du Mississipi que ma grand-mère appelait encore de son
nom français le "fleuve Colbert". Des membres de notre famille,
anciens de l'Acadie, cayouns et catholiques abandonnèrent leurs plantations
de coton.
Terminons avec ce que les nôtres firent à Bonaparte et comment
ils lui rendirent la monnaie de sa pièce. Déjà en 1799
alors que, sur le chemin de Constantinople il assiégeait Saint Jean d'Acre,
il essuya sa première défaite infligée par des chrétiens
maronites et des émigrés français sous les ordres d'un
ancêtre de quelques-uns d'entre nous, Antoine de Phélyppeaux. Défaite
décisive, car celui qui se comparait à Alexandre et à Mahomet
dut renoncer à son rêve d'Orient.
En avril 1814, dans Paris libéré, les Alliés hésitaient à qui donner le trône. Mais à Bordeaux, Louis de LRJ fit venir le Comte d'Artois et hissa sur la cathédrale le drapeau aux fleurs de lys. Tout le pays suivit l'exemple ; sans lui il n'y aurait pas eu de Restauration, pas de Louis XVIII mais peut-être Bernadotte ou, pire, le fils d'Égalité, lequel dut ronger son frein pendant encore seize ans.
L'année
suivante, pendant les 100 jours, le même Louis de LRJ souleva les Vendéens.
Bonaparte envoya contre lui le général Lamarque. Ce furent les
sanglants combats d'Aizenay, des Mathes et de Rocheservière, la mort
héroïque de Louis, de son beau-frère Guerry, de son cousin
Suzannet et de tant d'autres. Leur sacrifice ne fut pas vain car les dix mille
soldats de Lamarque firent cruellement défaut à Waterloo.
Waterloo, victoire indirecte de la Vendée, fut pour Napoléon la
fin de son rêve d'une Europe unie.
Il n'avait pourtant rien ménagé : les mensonges, impostures, usurpations, pillages, destructions, défaites présentées comme des victoires et tous ces carnages inutiles, des civils et des combattants, amis et adversaires. Jaffa, Marengo, Eylau, Essling, Bérézina...crimes de guerre, crimes contre l'humanité.
Il y aura bientôt
deux siècles on pensait que Dieu avait envoyé Bonaparte pour punir
la France de son impiété et des crimes de la Révolution,
tout comme il avait chargé Sennacherib, roi de Ninive dans la vingt et
unième année de son règne d'asservir les Hébreux.
Mais le Corse, comme l'Assyrien, se crut le maître du monde et outrepassa
les desseins du Très Haut ce qui provoqua sa colère :
Malheur à l'Assyrien, l'instrument de mon indignation, lui qui est mon
bâton, l'exécuteur de ma colère. Je l'envoie contre une
nation impie, je lui donne pouvoir contre un peuple qui excite ma fureur, pour
emporter ses dépouilles et le mettre au pillage, pour le fouler aux pieds
comme la boue des chemins. Mais lui, il ne l'entend pas ainsi, ce n'est pas
du tout ce qu'il pense : ce qu'il veut, c'est détruire, exterminer quantité
de nations. Il se dit : "J'ai agi par ma propre force, et par ma sagesse,
car j'ai l'intelligence. J'ai supprimé les frontières des peuples,
j'ai pillé leurs trésors, et, comme un dieu, j'ai détrôné
des rois. Comme sur un nid, j'ai mis la main sur les richesses des peuples.
Comme on ramasse des ufs abandonnés, j'ai ramassé toute
la terre, et il n'y a pas eu un battement d'aile, pas un bec ouvert, pas un
cri.
Est-ce que le ciseau se glorifie aux dépens de celui qui s'en sert pour
tailler ? Est-ce que la scie s'enorgueillit aux dépens de celui qui la
tient ? Comme si le bâton faisait mouvoir la main qui le brandit, comme
si c'était le morceau de bois qui soulevait l'homme ! C'est pourquoi
le Seigneur Dieu de l'univers fera dépérir ces soldats bien nourris,
et par-dessous leur gloire s'allumera un brasier, le brasier d'un incendie.
Isaïe 10,5-7,13-16
Tout cela aurait du être évité. Un rassemblement, une union d'hommes et de femmes peut se faire sans la force des armes ni la contrainte des traités. Les Angevins et les Poitevins le savent, ils en ont fait l'expérience.
Une Europe unie
a existé pendant soixante dix ans, plus durable que celles de Charlemagne,
de Charles Quint, de Napoléon ou de Hitler. C'était sous les princes
d'Anjou de la seconde race, René II le bon Roi, Louis III, Jean et Charles.
1409-1480.
Une Europe qui allait d'Angers à Varsovie, de Metz à Palerme,
de Barcelone à Nicosie, qui englobait l'Anjou, la Lorraine, la Sicile,
l'Aragon, la Provence, la Campanie, la Pologne, la Hongrie et même l'île
de Chypre toute entière... et pas seulement sa moitié comme aujourd'hui.
Les liens qui avaient réuni tous ces gens c'était la fidélité,
le respect, la dévotion pour un même Prince, héritier de
ses aïeux, oint de l'huile sainte, lieutenant du Christ et père
de ses sujets. Les devoirs et les droits étaient les mêmes pour
tous, la religion pratiquée, les langues et les traditions respectées,
les cultures reconnues et enseignées, les frontières symboliques,
les monnaies appréciées et convertibles. Ce n'étaient pas
des états, ni des "figures de peuples", encore moins des nations
mais des ethnies séculaires, de bonnes provinces dans leurs limites naturelles,
chacune gage d'un avenir commun, pacifique, stable et harmonieux.
Déjà ces "Vieux Pays" se réveillent. Souhaitons
que tous ressuscitent car, vous le savez :
"II n'y a pas de nations, il n'y a que des dynasties"
(1) "brada" : est le terme qui convient. Jefferson avait proposé
cinquante millions pour la seule ville de la Nouvelle Orléans et Talleyrand
de sa propre Initiative lui répondit : " Donnez en dix de plus et
vous aurez toute la Louisiane ! "