Quand je fais un rapide bilan de mes années dans la Royale, j'ai été embarqué sur six sous-marins dont deux servent actuellement de musée ???
L'Argonaute,
Sous-marin de quatre cents tonnes, actuellement à la Cité des
Sciences de la Villette.
Le Redoutable SNLE
(1),
de neuf mille tonnes à la Cité de la Mer de Cherbourg.
Ma vie de sous-marinier s'est partagé entre Toulon et Brest ; en seize ans j'ai effectué treize patrouilles opérationnelles et quelques missions de "renseignements" pour un total de vingt-cinq milles heures de plongée.
Quelques considérations sur les SNLE (type Redoutable)
- 135 m de long, 10,60 m de diamètre, 3 ponts,
- 130 hommes d'équipage.
- Un poids de 9000 tonnes, une vitesse de 25 nuds en plongée.
- Un réacteur à eau pressurisée.
- Pas de cigarette à bord.
Une fois embarqué sur un SNLE, notre vie est réglée pour deux ans et demi :
- Cinq semaines d'instruction
- Trois semaines d'Ile Longue
- Neuf à dix semaines de patrouille
- Six semaines de vacances
Et cela deux fois par an.
Un SNLE est composé
de deux équipages :
Un Bleu et un Rouge ainsi que d'un équipage Vert
commun à tous les SNLE.
Les hommes qui y sont affectés doivent remplacer au pied levé
un homme indisponible sur un équipage Rouge ou Bleu.
Comme cité précédemment, quatre principales périodes :
L'instruction :
Chaque S.M.(2) possède un bâtiment au Centre Roland Morillot de
Brest. Les jours sont consacrés au sport et à l'instruction, sanctionnés
par un certificat, obligatoire pour repartir en patrouille.
Il existe à SOUMENT(3) (Brest) une reconstitution partielle du SM. Une
plate-forme de pilotage avec P.C.N.O.(4) , une plate-forme missile, une plate-forme
lance-torpille, une plate-forme PC énergie, une plate-forme ASM(5) écoute,
une plate-forme détection/navigation.
Pendant la période d'instruction se déroule également la
visite médicale, moment capital car en dépend le statut de sous-marinier
et le départ en patrouille. Trois points principaux y sont contrôlés
: les dents, la surcharge pondérale (la taille n'est pas un problème
mais le poids oui), les gamma GT (alcool dans le sang).
Tout cela pour éviter au médecin et aux deux infirmiers (dont
un anesthésiste) de mettre en application leur savoir et c'est tant mieux
!
Le temps de l'Ile Longue :
L'Ile Longue se situant à l'autre bout de la rade de Brest, tous les
matins à sept heures nous prenons le "Transrade" pour nous
y conduire. Lorsque le SNLE revient de patrouille avec l'équipage Bleu,
celui-ci passe la suite à l'équipage Rouge pendant deux
jours, avec toujours les mêmes questions : La zone de patrouille, les
pannes, les ennuis, la durée de la patrouille, les petits secrets entre
les sous-mariniers occupant le même poste...
Pendant cette période de trois semaines, nous marchons par demi-bordée,
soit un jour de service à bord tous les quatre jours. L'entretien est
principalement effectué par l'Arsenal, le sous-marinier ayant plus un
rôle de contrôle et de surveillance. Toutes pièces changées,
modifiées ou démontées font l'objet d'un procès
verbal signé par le Militaire, l'Arsenal et le Service Contrôle
Qualité.
Les derniers jours sont consacrés à l'embarquement des vivres,
des torpilles et des missiles. Deux à trois missiles sont débarqués
à l'arrivée du SM à l'île Longue pour permettre l'entretien
du T.L.M.(6) et le reconditionnement des missiles.
La patrouille :
Les premiers jours, pas de bruit à bord, chacun récupère
ses automatismes de travail. Généralement pendant cette semaine
une "personnalité" politique embarque puis est hélitreuillé
(certains étaient tellement désagréables que l'on souhaitait
que le filin d'hélitreuillage casse). Plus militairement, cette période
est consacrée aux exercices avec d'autres bâtiments de la Royale
: sous-marins, hélicoptères, frégates anti-sous-marine.
Après un transit plongé, nous arrivons dans notre zone de patrouille
où la sérénité et les automatismes prennent le pas.
Le SNLE est divisé en tranches de l'arrière vers l'avant :
A/ machine (propulsion, une ligne d'arbre alimentée par deux turbines à vapeur)
B/ électrique (tous les principaux tableaux électriques)
C/ réacteurs (interdiction d'y pénétrer en mer)
D/ auxiliaire (diesel, production d'oxygène)
E/ missiles (2 x 8 missiles) vingt-sept mètres de long, le plus grand compartiment
F/ contrôle opération ainsi que le logement
G/ torpilles
Le travail est organisé
par "quart" de quatre, trois ou deux heures et l'on marche par tiers
ou demi-bordée. Dans chaque tranche se trouve au minimum une personne
qui a un rôle de surveillance et de maintenance. Une fois par quart est
ordonnée une ronde d'étanchéité où nous inspectons
les principaux passages de coque. Au craquement de celle-ci dans son compartiment
le sous-marinier sait dire à quelle immersion il se trouve.
Le but du SNLE est de rester discret pour pouvoir lancer ses seize missiles
à tout moment, mais sur ordre. C'est pour cela qu'à bord se trouvent
des "Oreilles d'Or", sous-mariniers qui pendant la patrouille écoutent
et classifient tous les bruits de la mer et l'empreinte acoustique des bâtiments
de surface ou parfois des S.N.A.(7). En fonction de la classification en bâtiment
de guerre ou de commerce, ami, ou ennemi, le Pacha prend la décision
de garder la route, ou de prendre une route de fuite ou, de plonger plus profond
pour y trouver une couche d'eau où la température et la salinité
nous mettront à l'abri des SONARS indiscrets.
Les missiles au nombre de seize, sont stockés dans les TLM verticaux
et sont lancées par séquence automatique à une profondeur
de vingt-cinq mètres. Le MSBS(8) est éjecté par
une chasse d'air, l'allumage de la tuyère se faisant dès sa sortie
de l'eau. Simultanément le poids du MSBS (vingt tonnes) est remplacé
par le même en eau de mer afin de garder la stabilité du sous-marin.
La vie à bord
:
Les postes contiennent de quatre à douze bannettes (traduisez : les
chambres contiennent de quatre à douze lits superposés) ;
les officiers sont logés en chambre seule ou double, chacun possède
un casier et une penderie commune.
Le boulanger et les deux
cuistots occupent la même cuisine, mais en décalé, le boulanger
la nuit, les cuistots le jour. Le principe des repas est basé sur la
quatorzaine ; tous les quatorze jours nous mangeons le même menu mais
chaque fois agrémenté d'un supplément. Le dimanche midi
indigestion garantie de langouste et de buf en croûte. La "cabane"
(cérémonie de mi-patrouille estimée) donne lieu à
un buffet pantagruélique. Très peu d'alcool à bord. La
ration est d'une bière par homme et par jour, soit 25 cl.
En dehors des périodes de quart, tout le monde a un loisir : la lecture,
le bord possède une belle bibliothèque gérée par
des volontaires. Les jeux de cartes comme le Tarot, la belote, le barbu.
Les jeux de société, par exemple le Scrabble, le Risk.
Les tables les plus enflammées sont à l'infirmerie où l'on
joue sur la table d'opération. Le maquettisme de bateau est beaucoup
pratiqué et l'on trouve aussi des adeptes du tricot, de la sculpture
et de la peinture.
Le moment le plus important qui revient chaque semaine est la distribution du
"familigramme" : vingt mots envoyés par l'épouse pour
nous dire que tout va bien en nous masquant parfois la vérité
car aucune mauvaise nouvelle ne doit venir altérer notre moral. Dès
que le Pacha nous communique le jour et l'heure du poste de manuvre,
une certaine fébrilité s'empare du bord : rangement, propreté...
Les deux ordres les plus importants dans une patrouille sont :
"ALERTE" ponctué de trois coups de klaxon, qui indique
que nous plongeons.
"SURFACE, chassez vingt secondes partout" ordre qui permet
aux sous-marins de faire surface et de reprendre contact avec le monde des Vivants.
Pour tout marin, il existe trois mondes :
celui des Morts, celui des Vivants et celui de ceux qui sont en mer.
La suite n'est que bonheur
à l'état pur : les retrouvailles avec les siens...
Nous autres, sous-mariniers embarqués sur SNLE, nous nous sommes jurés
d'être honnêtement fiables. Là se borne notre état
d'âme. Ce serment vous concerne, dans la nuit océane il faut s'en
souvenir, des marins sont rivés à leurs écrans, les yeux
rougis de sommeil, afin que nous ne nous réveillions pas vitrifiés
ou asservis.
François de Laujardière
Lexique :
(1) SNLE, Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engin
(2) S.M. Sous-Marin
(3) SOUMENT, plate-forme d'entraînement sous-marin
(4) PCNO, Poste de Commandement Navigation Opération
(5) ASM, Anti-Sous-Marine
(6) TLM, Tube Lance Missile
(7) SNA, Sous-marin Nucléaire d'Attaque
(8) MSBS, Missile Mer Sol Balistique Stratégique