On se souvient
que le Marquis de la Rochejaquelein avait émigré aux Antilles
pour trouver des ressources dans la plantation de Saint Domingue dont
avait hérité son épouse, il se retrouve là-bas
avec elle et trois de ses enfants : Anne, Louise et Auguste (se reporter
à l'opuscule de Georges de Beaucorps "Vie d'Anne de la Rochejaquelein"). Mon cher
Henri En fuyant de Saint Domingue, mon grand-père n'avait pu sauver que très peu de ressources pécuniaires. Une faible paie du gouvernement anglais et les produits d'un jardin nous aidaient à vivre et à placer mon frère dans les meilleures pensions du pays. Ma mère nous fut ravie en 1800. Je reçus son dernier soupir avec Madame Faucher notre respectable amie, qui l'était aussi de notre mère et de notre tante. Mon grand-père n'ayant plus à concentrer son affection que dans mon frère et moi, laissa sa croix de Saint-Louis, et, avec ses cheveux blancs, s'exposa à retourner à Saint Domingue, sous Toussaint Louverture pour tâcher de nous sauver quelques débris de sa fortune assez considérable dans cette colonie. II nous laissa aux soins de mademoiselle Bonnamy, en nous engageant à sous-louer la moitié de la maison que nous occupions à Kingston. Vous savez,
mon cher ami comment vos respectables parents émigrés en
Angleterre vinrent à la Jamaïque. La marquise mourut à
Kingston, et, après un certain temps de veuvage, votre vénérable
père, dans son intérêt et celui de ses enfants, épousa
une veuve anglaise, Mme Sputt, qui jouissait d'une position honorable. Vos dignes parentes étaient l'objet de tant d'égards de la part de Mademoiselle Bonnamy, qu'ils s'attachaient à elle tous les jours davantage. Quant à mon frère et à moi, nous recevions tant de marques d'intérêt de la part de ces dames, que nous les considérions comme une seconde famille pour tout. Votre grand-père qui résidait habituellement à la campagne de sa seconde femme venait les voir de temps en temps. Il était plein de bienveillance pour moi, et j'étais fort heureux quand il me faisait faire un tour de promenade dans son tilbury. Mme de la Rochejaquelein venait aussi quelques fois pour une journée avec ses belles filles. Votre oncle Auguste était aspirant dans la marine anglaise. Quand les croisières de la frégate qu'il montait le lui permettaient, il venait pour quelques jours avec ses surs et nous aimions beaucoup à nous amuser avec lui. Maintenant pensons à ce qui est personnel au noble marquis, et qui doit être transmis à Madame votre tante. Par des motifs
qui devraient être analogues à ceux qui portèrent
M. de L'Hermitage mon aïeul à se rapprocher de Saint Domingue,
votre respectable grand-père se décida à faire de
même, et prit passage sur un bâtiment espagnol nommé
le Diligent avec sept autres français qui résidaient à
Kingston. Ils furent rencontrés par des corsaires, qu'on désignait
sous le nom "Barges de Rigaud". C'était un ramassis de
toutes nations et de toutes couleurs, en un mot de vrais écumeurs
de mer. Le Diligent fut sommé de se rendre, mais l'équipage
espagnol, stimulé par les passagers français se prépara
au combat. M. de la Rochejaquelein par son âge et le nom qu'il portait
fut placé au poste d'honneur, gardien du pavillon. L'action fut
très vive. M. de la Rochejaquelein eut un bras brisé par
un boulet de canon, un fragment de peau tenait encore suspendue la partie
inférieure. Votre grand-père, de la main qui lui restait,
prit froidement son couteau dans sa poche, trancha cette peau et jeta
à la mer cette partie du bras, s'obstinant à rester à
son poste. Son sang ne tarda pas couler à flots, il allait s'affaisser
sous lui-même quand ses amis le transportèrent dans une cabine
de la chambre du bâtiment. Dans ce même moment, le capitaine
des corsaires, à l'aide de son porte-voix annonça l'abordage.
Un coup de fusil, bien ajusté par un des passagers français,
fit enfiler le porte-voix par une balle qui tua raide le capitaine. L'équipage
espagnol épouvanté de la situation, sauta à fond
de cale et ce furent les sept passagers français qui subirent seuls
l'abordage. Ils se battirent en désespérés, mais
furent obligés de céder au nombre. Au moment où l'un
d'eux sautait dans la cale, un de ses assaillants le retint par les cheveux.
Le français qui tenait son pistolet à la main, lui brûla
la cervelle, et ils tombèrent tous les deux à fond de cale.
Dans le De la seule main qui lui restait, M. de la Rochejaquelein écrivit à ses filles à la Jamaïque pour leur apprendre le triste accident qui avait interrompu le cours de son voyage. En parlant du combat du Diligent auquel il avait pris part, il annonça qu'un éclat de bois l'avait blessé au bras et qu'un coup de sabre avait donné à son nez la figure d'un artichaut. Je me rappelle parfaitement avoir assisté à Kingston à la lecture de cette lettre. Plus tard ces dames apprirent la triste vérité. Leur chagrin et leur inquiétude étaient extrêmes, et, quand elles surent que leur père avait quitté la Havane pour se rendre sur son habitation de Lançavaux à St Domingue, mademoiselle Louise se décida à s'y rendre et avait déjà fait ses préparatifs, quand son père l'engagea à retarder son départ. La paix d'Amiens survint en 1802 entre l'Angleterre et la France. Notre grand-père de l'Hermitage nous apprit de St Domingue que nos parents de France nous réclamaient ; qu'il trouvait très naturel de céder à leur désir, mais qu'il tenait à nous voir encore, et nous engageait à venir le rejoindre à la ville de Jacmel, où il résidait alors [...] [...] Quelques
temps après notre départ, votre mère et mademoiselle
Louise passèrent à St Domingue pour prodiguer à leur
père tous les soins qu'exigeait la gravité de sa situation.
Cette situation ne fit qu'empirer ; la nature de sa blessure étant
inguérissable. Il mourut, laissant votre excellente mère
et mademoiselle Louise dans un profond désespoir.
(1)
ville de la Péninsule du Sud Note de
Georges de Beaucorps, transcripteur du document : |