C'est Anne-Henriette,
soeur du Marquis Louis Auguste, qui relate à posteriori le départ
dans ses souvenirs :
"Monsieur
de Guerry de Beauregard était revenu en Poitou, avait embrassé
sa fille naissante, Constance, et dès le 16 Décembre 1791
nous voyons le jeune ménage partir avec le Marquis et la Marquise
de la Rochejaquelein et leurs jeunes enfants pour la Belgique.
Henri, alors sous-lieutenant au régiment de Royal Pologne cavalerie,
restait en France et peu après le départ de sa famille
entrait dans la garde constitutionnelle du Roi formée en partie
de jeunes gens des familles nobles et dévoués à
la royauté."
Après être
restés quelque temps à Tournai et être même
venu en France momentanément le Marquis de la Rochejaquelein se
rendit à l'armée des Princes où il fut fait Maréchal
des Logis Général de la cavalerie.
Louis son second fils qui était sans cesse avec les officiers du
régiment de la Tour et taxis qui l'avaient pris en amitié
s'échappa en route et vint à pied les retrouver. Il fit
la campagne avec eux quoique âgé seulement de 14 ans; après
la campagne, le Marquis de la Rochejaquelein parti pour Londres.
Au printemps de 1792, le Marquis de la Rochejaquelein et sa famille s'embarquèrent
à Amsterdam sur un petit bâtiment côtier pour se rendre
à Douvres. Sur le bateau ils se trouvent avec des émigrants
des familles de Beaupréau, de Serin, Carré de Lasseyrie,
etc....
C'est encore grâce aux notes du Comte Henri de Beaucorps que la
relation nous est parvenue :
"La traversée
qui d'ordinaire se faisait en deux ou trois jours en dura huit et fut
très pénible. La frêle embarcation était
ballottée par les vents et les flots. Le jeune Auguste, alors
âgé de sept ans se trouvait sur le pont avec les matelots
et chantait gaiement: "Balance, balance tant que tu voudras...".
"Le débarquement s'opéra heureusement à
Douvres au mois de juin probablement, car une note que nous avons sous
les yeux nous indique la présence à Douvres le 29 de ce
mois du Marquis de la Rochejaquelein. De cette ville toute la famille
gagna Londres; elle ne devait pas y rester longtemps réunie".
(Notes de Françoise de Chabot).
C'est d'après
les notes de Charles de Beaucorps que la suite a pu être reconstituée
:
"Vers la
fin de 1792, le Marquis de la Rochejaquelein résolut de partir
pour Saint-Domingue espérant y trouver un aliment à son
activité et des revenus pour compenser la perte de ses propriétés
de France. Sa femme consentit à affronter avec lui les fatigues
et les risques de ce voyage et ils décidèrent d'emmener
avec eux leur fils Louis âgé de 15 ans. Partagée
entre ses devoirs d'épouse et de mère, Madame de la Rochejaquelein
passera par de nouvelles angoisses avant de prendre ce parti et elle
ne se résignera à quitter ses quatre plus jeunes enfants
qu'après avoir trouvé à les placer dans les meilleures
conditions possibles: les trois soeurs (Anne, âgée de 18
ans, Louise, près de 13 ans et Lucie, 4 ans et demi) furent mises
en pension à Richmond (1) petite ville située à
16 kms à l'ouest de Londres, sur le bord de la Tamise et Auguste,
qui avait 8 ans et demi fut confié à une famille dévouée
de la même ville."
L'embarquement devait
se faire de Falmouth, le port situé en Cornouaille à l'extrême
sud-ouest de l'Angleterre. Pour cela il fallait passer par Plymouth qui
n'en n'est distant que de quelques lieues et d'où la Marquise écrit
à sa fille Anne :
"Ma chère
Annette, nous sommes arrivés tout à l'heure bien portants
et nous trouvons le bâtiment prêt à partir... Ecris
moi par le paquebot qui partira à peu près dans un mois.
Je vais être bien longtemps sans avoir de vos nouvelles, adieu
mes chers enfants, je vous quitte mais soyez sûrs que mon esprit
est toujours avec vous. Nous vous embrassons de tout notre coeur".
Quelques jours après,
la Marquise de la Rochejaquelein adresse encore à sa fille la lettre
suivante datée de Falmouth, Cornouailles le 9 décembre 1792
:
"Ma chère
Annette me voilà donc séparée de vous. Je te recommande
encore ma Lucie; pauvre petite elle avait 4 ans et demi. Mon petit Auguste,
qu'il aura été embarrassé, il est seul, lui. Veilles-y
ma chère enfant, sers leur de mère. Que ma chère
Louise oublie toutes ses petites humeurs ...et toi ma chère Annette,
quel plaisir tu auras de revoir un père et une mère qui
te béniront et te remercieront de ta bonne conduite et de tes
soins pour tes frères et soeurs. Nous croyons vous avoir laissés
en bonnes mains. Je crois que tu peux avoir confiance en ces demoiselles,
nous leur avons parlé de notre position qui peut être heureuse,
mais qui peut être tout le contraire. Ne fais que les dépenses
absolument nécessaires ... Ecris-moi tout de suite à Falmouth.
Envoies ta lettre à Monsieur André. Les demoiselles ont
son adresse. Je t'envoie les deux manteaux gris, donnes en un à
ton frère. Voilà aussi une redingote. Je voudrais bien
qu'il ne vous manque rien. Je me porte autant bien qu'une mère
peut faire en quittant quatre enfants chéris de son coeur. Votre
papa vous fait mille amitiés. Louis vous embrasse. Il est toujours
fort enrhumé. Il a eu la fièvre hier mais il est mieux.
Je pars mes enfants avec l'impatience de vous revoir. Aimez-vous, aimez-nous,
nous le méritons."
Le bâtiment
mit à la voile le 14 décembre 1792, laissant les trois derniers
enfants sous la responsabilité d'Anne. Le voyage nous est relaté
par la première lettre adressée à l'arrivée
à la Jamaïque.
A Mademoiselle de
la Rochejaquelein chez Miss Havere, Nichols Boarding School, Richmond.
"A
la Jamaïque, 19 Janvier 1793
Nous sommes
arrivés bien portants, mes chers enfants, hier 18 à midi.
Nous n'avons été que peu malades, Louis point du tout.
Je l'ai été un peu ... mais à présent, je
me porte à merveille. Nous avons eu le plus beau temps et fait
la plus belle traversée possible. Malgré cela, je n'ai
pas eu assez de raison pour n'avoir pas peur, le moindre vent ou la
mer un peu grosse, je me croyais pour jamais séparé de
mes pauvres et chers enfants ...
Il faut aller à présent à Saint-Domingue ... Votre
père est allé voir ce matin si nous trouverions un bâtiment.
J'espère que vous aurez une lettre de moi datée de l'habitation
en même temps que celle-ci, parce que notre bâtiment ne
part que dans quinze jours pour retourner à Falmouth...
S'il nous est possible de retourner en France, je serai fort aisé
de vous éviter ce voyage, mais si nous sommes obligés
de vous faire venir, je serai désolée que nous ne l'ayons
pas fait ensemble ...
Nous étions sur un fort joli bâtiment...
J'ai eu la ressource de travailler, j'ai fait une veste à Louis
qui n'est pas trop mal pour la première. J'ai fait une paire
de bas à Lucie, que je vous envoie. Ils ne seront pas trop chauds
à Richmond.
Je n'ai pas encore descendu à terre: il y doit faire encore plus
chaud que sur l'eau. La ville ne paraît pas belle; ce sont toutes
des maisons de bois ...Je suis bien impatiente d'être rendue à
Saint-Domingue pour savoir notre sort qui est bien inquiétant,
cependant on dit que l'on y est assez tranquille. On croit très
fort ici à la guerre avec la France. Je vous exhorte tous mes
chers enfants à faire tout ce que vous pourrez pour apprendre
l'anglais, nous n'aurons peut-être que cette ressource-là
de passer pour étrangers ...
Nous sommes partis le 14 Décembre à 3 heures après-midi,
et arrivés à la Jamaïque le 18 janvier à midi...
22 Janvier.- Enfin me voilà donc pied à terre, ma chère
Annette ... il fait une chaleur insupportable.
Je crois que nous ne serons pas longtemps à partir pour nous
en aller à Saint-Domingue. Si tu es a portée d'Henriette,
emploie tous les moyens pour l'empêcher d'écrire chez nous,
et n'écrivez pas non plus. Nous écrirons à ta tante
comme si nous étions tous ensemble. Louis se porte bien. Il est
toujours avec les matelots de notre équipage."
C'est encore d'après
les souvenirs du Comte Henri de Beaucorps que l'on apprend les détails
de la vie des trois soeurs :
"Lucie
âgée de 9 ans (en 1797) n'avait pas pu supporter le climat
d'Angleterre, sa santé paraissait s'altérer. On craignait
pour elle la nostalgie et Anne la confia à des amis sûrs
qui rentraient en France et se chargèrent de ramener la petite
Lucie. Je lui ai entendu dire qu'elle avait fait le voyage avec la famille
de Nathaire.
Anne ne pouvait rester toujours en pension. On lui offrit d'entrer comme
institutrice dans une excellente et riche famille anglaise. C'était
une ressource pour elle et pour sa famille dont elle se trouvait chargée.
Elle accepta et se rendit à Mashdown à quelques miles
de Londres chez Monsieur et Madame Fuller qui avaient huit enfants dont
plusieurs filles. Madame Fuller était fille du brave général
Elliot qui fut créé Lord Heathfield en récompense
de sa belle défense de Gibraltar contre les flottes de France
et d'Espagne. Monsieur et Madame Fuller jouissaient d'une grande considération
tant par leur position sociale que par leurs vertus et leurs excellentes
qualités: bons, charitables, généreux, ils étaient
adorés dans tout leur voisinage. Ma mère conserva longtemps
par correspondance des relations affectueuses avec l'aînée
de ses anciennes élèves Miss Maria Fuller.
Elle jouissait de la plus complète liberté pour remplir
ses devoirs religieux.
Monsieur et Madame Fuller, élevés dans la religion protestante,
tenaient à leurs croyances mais jamais ils ne firent la moindre
tentative qui put porter atteinte à la foi de l'institutrice
de leurs enfants. Elle de son côté était toute dévouée
à ses élèves et la plus parfaite union régnait
dans cet intérieur.
Les deux soeurs avaient ensemble, quoique vivant séparées,
des relations fréquentes. L'aînée était particulièrement
chargée de la correspondance avec leurs parents.
Leur frère Auguste s'étant embarqué comme midshipman,
elles restèrent quelque temps seules en Angleterre pendant que
leur frère parcourait les mers, prenant part aux rencontres,
aux combats qui plaisaient à son courage. Dans une de ces courses,
naviguant dans le Golfe du Mexique où les requins se montrent
fréquemment, il tomba à la mer. Comme il savait nager,
et qu'on s'aperçut rapidement de sa chute, une embarcation fut
mise à la mer et il fut sauvé. En trois années
de courses il reçut 3000 gourdes pour ses parts de prise.
Ma mère après un séjour de 7 ans en Angleterre
mandée par ses parents, partit avec sa soeur Louise pour se rendre
à Saint-Domingue où elle eut la douleur d'arriver après
la mort de sa mère. Elles retrouvaient leur père, mais
changé, vieilli par le climat des colonies. Il avait eu des anglais
le commandement d'un régiment de nègres dont les officiers
étaient des blancs. Son fils Louis commandait une compagnie dans
ce régiment. Ils avaient combattu l'insurrection des nègres,
fomentée par des émissaires de la révolution qui
devait triompher bientôt à Saint-Domingue comme elle avait
triomphé en France".
C'est en décembre
1799 que Anne et Louise débarquèrent à Kingston (Jamaïque).
(A suivre
...)
Georges
de Beaucorps
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