Un de mes premiers
souvenirs fut la profonde admiration que nous avions, mes frères
et moi, pour un buste d'Auguste de la Rochejaquelein. Il dominait la table
familiale dans la salle à manger, chez mes parents, à Blois.
Il fallait qu'on nous raconte souvent l'origine de la balafre dont son
nez gardait la trace magistrale. C'était l'occasion pour ma mère
de nous raconter la vie héroïque de son arrière grand'mère
et de ses ancêtres. Inutile de dire qu'à cette école
nous étions vite devenus de farouches anti-républicains,
prêts à en découdre avec tous ceux qui auraient dit
du mal de l'Eglise ou du Roi. On nous lisait aussi le petit opuscule édité
par le Curé de Rilly, l'abbé Cluzel, au moment de l'inventaire
de son église, le 8 mars 1906. Ma mère et sa soeur Claude
ainsi que leur institutrice et une centaine de paroissiens entourèrent
leur curé pour défendre leur église. L'abbé
Cluzel relève dans ses souvenirs
"...
au cours de la discussion qui s'est élevée sur la place
de l'Eglise. Il faut noter l'attitude fière et énergique
de Melles de Chauvelin et la crânerie de leur vaillante institutrice.
Les petites-filles de l'héroïque général de
la Rochejaquelein se sont montrées en ce jour dignes de leur aïeul."
Plus tard, après la mort de ma mère, notre maison familiale
devint celle de ma grand-mère de Chauvelin à Rilly-sur-Loire,
maison où flottait toujours l'âme des "La Rochejaquelein"
puisqu'elle fut la demeure d'Annette de la Rochejaquelein, la mère
de mon grand-père de Chauvelin. Dans la grande bibliothèque
du château dont une partie était le bureau de mon grand-père,
de grandes fenêtres s'ouvraient sur la Loire dont le cours tranquille
se fondait dans ces paysages si doux de la Touraine.
Face au bureau de mon grand-père, il y avait la relique sacrée
de la maison: le gant d'Henri de la Rochejaquelein. Ce témoignage
sensible de tout ce que nous lisions sur les guerres de Vendée
nous enthousiasmait, nous imprégnait de cet esprit de courage et
de sacrifice, de cette fidélité à Dieu, au devoir,
à la royauté, qui fut l'esprit des "La Rochejaquelein".
Esprit que l'on retrouvait si fort chez mon frère Olivier, enlevé
en Algérie le 22 juillet 1962, alors qu'il devait rentrer définitivement
en France 8 jours plus tard. Il avait toujours montré dans sa vie
beaucoup de courage, un sens du devoir sans faille tout en étant
très gai et plein d'humour. Tout le monde l'aimait, appréciait
non seulement ses compétences mais aussi sa droiture, son honnêteté
dans les affaires, son entrain. Son personnel algérien lui était
très attaché; j'ai pu le constater pendant mon séjour
en Algérie où ses employés auraient fait n'importe
quoi pour retrouver leur patron.
Venu en France au moment de l'indépendance, car disait-il: je ne
veux pas voir le drapeau fellagha remplacer le drapeau français,
il devait repartir vers le 5 juillet pour attendre son remplaçant,
encore en vacances. Sa femme le trouvant triste et anxieux le suppliait
de lui dire s'il se sentait menacé et de ne pas retourner là-bas,
où évidemment on pouvait s'attendre à tout et où
il avait bien rempli sa mission. "J'ai toujours fait mon devoir,
répondait-il, et je le ferai jusqu'au bout. Si la France nous abandonne,
moi je n'abandonne pas."
Il a effectivement fait son devoir jusqu'au bout, exprimant ses pensées
sans détours, lesquelles bien souvent ne correspondaient certainement
pas aux directives gouvernementales. Ce qui laisse à penser, -car
par la suite bien des faits m'ont troublée- que son enlèvement
a d'abord été le fait de français (dits "barbouzes")
trop heureux de régler quelques comptes ou de servir le pouvoir
en place en le débarrassant d'éléments trop virulents.
Ensuite on laissait les fellaghas prendre la responsabilité de
ces enlèvements et nul ne pouvait savoir le sort de ceux que l'on
recherchait.
Nous ne pouvions deviner les drames que nous réservaient l'avenir
quand nous partions en vacances à Noirmoutier où nous ne
quittions pas pour autant l'épopée vendéenne.
Mon grand-père avait appelé cette ravissante propriété
de pins, de mimosas et chênes verts bordant la mer "Villa
la Rochejaquelein". Le sacrifice de d'Elbée hantait toujours
les fossés du vieux château de la ville de Noirmoutier. Puis
beaucoup de vendéens venaient passer leurs vacances dans cette
île enchantée.
Je pense au charmant Tintin de Rouge que ma grand'mère aimait beaucoup,
aux Cathelineau toujours prêts à lever l'ancre pour de grandes
promenades en mer, à Miguel et Ivan Roche, aux d'Aigneaux, aux
Guerry et tant d'autres ...
Le 15 Août, famille et amis se réunissaient autour de ma
grand'mère dont c'était la fête. Nous sentions les
liens qui nous unissaient, se resserrer encore plus fort car ils prenaient
leur source dans ce bien si précieux légué à
nos âmes par nos ancêtres: l'amour de la famille. Cet amour,
là encore mon frère Olivier montrait combien il y tenait
en nous laissant une précieuse généalogie des "La
Rochejaquelein" sur laquelle il travailla longtemps.
Parfois aussi c'est avec humour et un brin de malice qu'il manifestait
ses connaissances familiales. Au collège des Jésuites de
Poitiers, un Père eut peut-être la malencontreuse idée
de lui demander: "Dites-moi, mon enfant, pourriez-vous me raconter
quelques faits où votre famille aurait marqué l'histoire!"
"Bien sûr, mon Père, c'est un Chauvelin qui a signé
l'expulsion des Jésuites, sous Louis XV". Et comme le
bon Père s'étranglait de surprise indignée, mon frère,
pour faire bonne mesure, s'empressa d'ajouter: "Mais d'autres
ont lutté jusqu'à la mort contre la République et
Vive le Roi".
Pour terminer, je pense que nous pouvons tous avoir une grande reconnaissance
pour ceux qui ont eu l'idée merveilleuse de resserrer ces liens
de famille en organisant la magnifique journée d'Août 1989,
et d'en maintenir le souvenir et l'esprit par un bulletin familial.
Hélène
des Garets
* Hélène
des Garets, est la fille de Jeanne de Chauvelin, petite-fille elle-même
de Anne de la Rochejaquelein, le sixième enfant de Louis de la
Rochejaquelein et de Victoire de Donnissan de Citran, auteur des célèbres
"Mémoires".
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