Georges de Beaucorps
a retracé l'histoire de Anne de la Rochejaquelein, fille du Marquis,
histoire qui comportera les chapitres suivants:
- Une otage parmi
d'autres
- Emigration en Belgique et Angleterre
- Séjour à la Jamaïque et Saint-Domingue
- Retour en France, mariage
- La vie sous l'Empire
- La vie sous la Restauration
L'auteur de formation
exclusivement scientifique, souhaite beaucoup recevoir remarques et critiques.
Il tient à remercier pour leurs conseils éclairés
et travaux de relecture Amblard de Guerry et Yves de la Martinière.
Anne de la Rochejaquelein
a émigré avec ses parents en Angleterre puis aux Antilles.
Elle n'était donc pas en Vendée en 1793/1794 et c'est ce
qui explique que dans ses "mémoires" sa belle-soeur la
Marquise de la Rochejaquelein ne la mentionne pas. Elle n'a droit qu'à
trois lignes d'état civil en italique dans les éditions
ultérieures.
Rappelons que la Marquise de la Rochejaquelein, épouse de Louis,
avait participé au soulèvement vendéen comme épouse
de son premier mari le Marquis de Lescure; ses mémoires parus à
la Restauration ont eu un grand succès et ont grandement contribué
à faire connaître à travers la France cette grande
épopée. Mais une partie de la famille, dont Anne, n'y prenait
pas part. Ceux qui auront le temps de lire cet opuscule apprendront à
connaître les aventures vécues outre-mer par une partie de
la famille et constateront que la personnalité de Anne mérite
d'être sortie de l'oubli.
Malheureusement les drames se succèdent, une tourmente chassant
l'autre, et un fait divers a fait disparaître la très importante
correspondance qu'elle avait entretenue avec plusieurs membres de sa famille
et en particulier sa mère. En effet, en 1941, la propriété
du Colonel Henry de Beaucorps était occupée par un détachement
de l'armée allemande. Une maladresse et le feu se propagea, détruisant
deux étages du château et surtout de précieuses archives
dont ces lettres.
Charles de Beaucorps, frère du Colonel avait fait l'école
des Chartes, comme son père, et ces deux archivistes avaient pris
des notes grâce auxquelles l'histoire d'Anne n'a pas été
perdue.
C'est à partir de celles-ci, inédites ou publiées,
que le récit suivant a pu être reconstitué.
Les biographies sont à la mode. Beaucoup d'écrivains ont
le génie de créer des personnages mais les plus vraisemblables
et les plus attachants sont tout de même ceux qui ont réellement
existé.
Dans le cas présent les deux ou trois mille descendants du Marquis
Henri Louis Auguste de la Rochejaquelein s'intéresseront particulièrement
à celle qui est pour eux une aïeule ou une tante et qui a
vécu une vie aventureuse dont les traits marquants furent le courage
physique, la fidélité et l'abnégation.
- CHAPITRE
1 -
Une otage parmi d'autres
La
Durbelière le 26 Août 1791
"Monsieur,
pénétrée d'une juste et véritable admiration
pour mon Roi et mon Auguste Reine, je cède au premier mouvement
de mon coeur en vous priant de vouloir bien me plasser (sic) au rend
(sic) des heureuses victimes qui s'offrent en otage pour notre bon
monarque et trop heureuse si en perdant ma liberté (et même
la vie) je pouvais contribuer à la rendre à la famille
royale à qui on l'a si indignement ravie malgré tous
les bons français qui lui sont dévoués. J'ai
l'honneur d'être ... toute l'estime qui vous est due.
Monsieur"
Votre
très humble et très obéissante servante
Anne-Louise du Vergier de la Rochejaquelein
âgée de 17 ans
C'est ainsi qu'à
l'âge de 17 ans, Anne dite Annette faisait son apparition dans l'histoire.
Cette lettre n'était pas une initiative individuelle et spontanée.
Elle résultait d'une stratégie médiatique du Directeur
de la "Gazette de Paris", le journal contre-révolutionnaire
né avec la Révolution le 1er Octobre 1789, et tué
par la Révolution puisque son directeur, animateur, rédacteur
... Barnabe Farmain du Rozoi, fut condamné par le Tribunal du 17
Août 1792 et exécuté le 25 Août 1792, jour de
la Saint-Louis.
Ce du Rozoi animait son journal par un dialogue avec ses lecteurs. Son
meilleur tirage fut de 5.000 exemplaires, mais il descendit avec l'apparition
de la Terreur vers 2.500.
Laurence Coudard a étudié l'origine sociale des abonnés
(pour plus de 50% des nobles) et surtout la correspondance reçue
par le journal. Du Rozoi avait deux siècles d'avance dans le domaine
médiatique : il dialoguait avec ses lecteurs et reçut ainsi
2.780 lettres qui sont soigneusement conservées aux Archives Nationales
(série C.).
Les plus nombreuses sont celles de 1791 résultant en grande partie
de l'appel lancé pour chercher des volontaires s'offrant pour prendre
la place de la famille royale après l'arrestation à Varennes
(22 Juin 1791).
Du Rozoi avait misé juste. Il demandait 200 volontaires; il y en
eut environ 600 et l'on s'imagine facilement les gens s'arrachant sa Gazette
1791 pour y trouver la liste des volontaires.
C'est dans la Gazette du 11 Juillet 1791 qu'avait été lancé
l'appel: la lettre de Anne est du 26 Août. Presque toutes les lettres
analogues sont datées de Juillet, Août et Septembre.
Mais, si cela anima le journal, cela ne servit en rien la cause défendue,
faute d'avoir été chercher des appuis et des interlocuteurs
à l'Assemblée.
Un point est intéressant à noter: cette Gazette est le journal
de la contre-Révolution; il y a des abonnés dans tous les
départements nouvellement créés, ce qui donne une
certaine idée de la qualité des communications et des postes
à cette époque. Or, ni par le nombre des abonnés,
ni par le nombre des lettres, la Vendée et les Deux Sèvres
ne sont bien représentés. L'Ile et Vilaine, la Normandie,
la région de Lyon, etc ..., ont des densités d'abonnés
beaucoup plus fortes. Ceci est une preuve complémentaire du fait
que la noblesse vendéenne n'était pas particulièrement
contre-révolutionnaire. Si son action a accompagné le soulèvement
vendéen elle ne peut en avoir été la cause première.
Mais cela est universellement admis.
La Gazette de Paris n'était pas le seul journal royaliste: l'autre
intitulé "l'Ami du Roi" avait une diffusion un
peu analogue mais une rédaction beaucoup plus classique.
Ce qui fit le grand succès de la Gazette de Paris fut ce courrier
des lecteurs exceptionnellement animé. 2.780 lettres de lecteurs
ont été conservées; on ne sait si cela correspond
à la totalité des lettres reçues mais c'est déjà
un record de participation pour un journal ayant environ 5.000 abonnés.
Dans cette période tourmentée le premier besoin était
de vaincre la solitude des lecteurs d'autant plus que seuls les révolutionnaires
s'assemblaient dans les "clubs" ou "sociétés
des amis de la Constitution". Le traitement méthodique
par voie informatique des lettres reçues par la Gazette de Paris
a permis de bien analyser cette correspondance (origine géographique,
sociale, date, objet, etc ...), et par le fait même les réactions
des non-révolutionnaires en face de la Révolution montante.
On retrouve deux grands thèmes essentiels :
- refus de la Constitution
Civile du Clergé et refus actif (notamment par souscription en
faveur des prêtres insermentés)
- incompréhension face aux positions de Louis XVI bien entendu
sans que cela ne mette en cause la fidélité au Roi. Lorsque
Anne écrivit sa lettre à la Gazette elle avait 17 ans;
on ne sait malheureusement pas si ce fut de sa part une réaction
individuelle et spontanée ou si elle était le porte-parole
de la famille réunie à la Durbelière.
En Août 1791,
quand Anne écrit sa lettre, la Vendée était parfaitement
calme. On commençait seulement à sortir de la période
des illusions que le Marquis de la Rochejaquelein avait nourries, plus
que tout autre aristocrate vendéen. Il avait été
élu le 21 Mars 1789, commissaire de l'élection de Châtillon
et il croyait au progrès ...
Lors de l'Assemblée de la Noblesse du Poitou, il s'était
fait remarquer comme chef de ce que certains appelleront le "Parti
démocrate"
Comme tant d'autres et notamment La Fayette, il rêvait de jouer
un rôle politique.
Le Marquis de la Rochejaquelein était avant tout un militaire.
Porte-étendard, Sous-Lieutenant et Lieutenant avant l'âge
de 20 ans, il obtint le titre de Lieutenant-Colonel à l'âge
de 21 ans, puis Colonel du Royal Pologne Cavalerie et enfin Maréchal
de Camp le 1er Septembre 1788, donc juste à l'aube de la Révolution.
Il passait en général six mois par an auprès de son
régiment et les six autres mois à la Durbelière.
La continuité de la marche de la propriété était
donc assurée par son épouse Constance de Caumont d'Ade;
elle était sa cousine issue de Germaine et non pas sa cousine germaine
comme cela a été si souvent écrit. On peut vérifier
sur le tableau généalogique que la grand-mère paternelle
de Louis Auguste était soeur du grand-père paternel de Constance.
Les Caumont d'Ade étaient une famille de marins. Alexandre Tancrède,
le père de Constance, était chef d'escadre et sa mère,
Angélique de Gousse de la Roche Allard, issue aussi d'une famille
de marins. Constance, avec une santé exceptionnelle, assurait donc
la marche des propriétés de Vendée, ce qui ne l'empêchait
pas, bien au contraire, la saison venue d'être la première
à la chasse à courre.
Puisque notre histoire débute en Août 1791, il parait utile
de bien situer cette date à la fois dans l'histoire de la France,
de la Vendée et dans celle de la famille.
C'est le 22 Juin 1791 que Louis XVI et sa famille avaient été
arrêtés à Varennes en Argonne. Il y avait déjà
un an (12 Juillet 1790) qu'avait été votée par l'Assemblée
Constituante la loi de Constitution Civile du Clergé, loi qui aura
une si forte influence sur le cours de la Révolution et plus particulièrement
sur l'histoire de la Vendée.
Les masques étaient donc déjà tombés. Cette
révolution était une révolution antireligieuse plus
qu'une révolution des républicains contre les royalistes
(il n'y avait pas de républicains dans l'assemblée Constituante)
et encore moins une révolution des pauvres contre les riches. Dans
les provinces comme la Vendée, les Bleus seront les Bourgeois des
villes, souvent voltairiens et non pas le petit peuple des tisserands
ou agriculteurs qui très massivement prendront partie pour les
Blancs. En fait ce seront eux les Blancs, les révoltés puisque
les aristocrates ne les suivront qu'avec réticence car ils seront
plus conscients des risques encourus et des conséquences.
Ce qui contribuera à marquer le clan des Bleus sera la mise en
vente des "Biens nationaux" provenant en grande partie
des biens du Clergé. Ces biens seront en grande majorité
acquis par ces mêmes bourgeois voltairiens. Alain a dit "Les
intérêts transigent toujours, les passions jamais".
Pour ces bourgeois enrichis, les intérêts et la passion étaient
du même côté, si bien que le camp était définitivement
marqué ...
Elaborée en début 1790 et votée en juillet 1790,
la Constitution Civile du Clergé organisait la nouvelle église.
Les évêques n'étaient plus nommés par le Roi
sur suggestion de Rome, mais élus par une assemblée départementale
formée de notables et les curés nommés par des assemblées
de district. Comme on a pris les biens du Clergé, évêques
et prêtres sont payés par l'Etat. La prêtrise devient
une carrière libérale comme celle de notaire.
Il y avait eu, dans les siècles précédents, des abus
certains dans l'attribution des charges d'évêque, mais l'ensemble
du Clergé répondait globalement à une vocation.
Pour les religieux le changement est encore plus brutal puisque les voeux
monastiques sont supprimés. Le Clergé hésite devant
cette constitution et en majorité refuse. Un décret du 27
Novembre 1790, déclare démissionnaires tous les ecclésiastiques
qui auront refusé le serment. Seuls quatre évêques
seront jureurs dont Grégoire le trop célèbre évêque
de Blois.
Dans tout l'Ouest de la France, en Vendée notamment, la quasi totalité
du Clergé refuse le serment. La guerre religieuse s'allume peu
à peu et s'amplifie lorsque le Pape, après avoir longtemps
hésité, prend publiquement position contre la Constitution.
Ses deux brefs du 10 Mars et du 13 Avril 1791 portent une condamnation
solennelle des prêtres jureurs.
Un Clergé nouveau se mettra cependant en place et presque tous
les évêchés et les cures seront pourvues de titulaires.
En Maine et Loire, c'est un prêtre grand admirateur de Voltaire
qui est élu évêque. Dans les Deux Sèvres, les
prêtres élus à ce poste se désistent avant
que l'on en trouve un (Mestadier) qui accepte de prendre en charge l'évêché.
Il en sera de même en
Vendée où le nouvel évêque Rodrigue est sacré
le 29 Mai 1791.
Au moment où Anne écrit sa lettre, on se trouve donc à
la période où l'on passe des tracasseries et vexations à
la persécution.
Mais quittons provisoirement le drame politique et religieux pour nous
pencher sur l'environnement dans lequel vit Anne. La Durbelière
est occupée par ses ascendants depuis trois générations
puisque le grand-père du Marquis a déjà été
enterré à Saint-Aubin de Baubigné.
C'est entre 1440 et 1460 que la famille de Rorthais fit édifier
le Château qui fut agrandi et embelli au début du XVIIe siècle
par les Meulles. Le propriétaire du Château était
seigneur de sa paroisse, ce qui lui donnait le droit d'avoir la sépulture
de sa famille à l'intérieur de l'église, comme on
peut le voir encore actuellement.
Le train de vie était important puisque la propriété
comptait 33 métairies et que 40 domestiques servaient au château.
La chasse à courre se déroulait notamment en forêt
de Boissière, dont le Marquis était seigneur, mais souvent
beaucoup plus loin.
"Dans les souvenirs des récits familiers de notre bonne
mère, dit le Comte Henri de Beaucorps, fils d'Anne, nous
retrouvons une particularité singulière; ma mère
suivait les chasses sur un certain Fox que le Marquis avait acheté
à l'âge de trois ans pour le prix de 100 écus d'un
médecin de Châtillon auquel on le revendit pour le même
prix près de trente ans plus tard. Ce cheval très difficile
avait été dressé dans le manège de la Durbelière
par le Marquis de la Rochejaquelein. Ce cheval était devenu passionné
pour la chasse au point que, se trouvant dans les prairies, s'il entendait
les trompes et les chiens, il franchissait tous les obstacles et rejoignait
chasseurs et chiens que l'on ne pouvait l'empêcher de suivre.
Il était bien dressé lorsque l'on permit à notre
mère alors âgée de 8 ans (!) de le monter pour suivre
les chasses avec sa mère. Cet exercice était conseillé
à notre mère pour sa santé; elle était née
à 7 mois et par suite très délicate; notre grand-père
ne voulait pas qu'on la fatigue par l'étude jusqu'à ce qu'elle
eût atteint 12 ans. Ceci donne une idée de l'éducation
vendéenne pour les filles comme pour les hommes."
C'est le seul détail précis et personnel que l'on ait sur
la petite enfance d'Anne. On sait ainsi qu'elle était initialement
très fragile de santé ce qui est réconfortant pour
ceux qui auraient des enfants de faible santé. En effet, après
cette éducation saine, Anne résistera mieux que n'importe
qui dans les difficiles conditions des tropiques, dont l'insalubrité
sera décuplée par la guerre.
Quand Anne adresse sa supplique le 26 Août 1791, elle revient de
l'étranger. En effet toute la famille du Marquis partit à
Spa en Belgique, en 1790 où elle séjourna plusieurs mois
profitant notamment des cures thermales.
Au retour, ils redescendirent la Loire en bateau à la grande joie
de tous les enfants. N'oublions pas que le Marquis Henri, fils de Louis,
consacra une partie de son existence et de sa fortune à cette navigation.
"Il contribua à doter la Loire de bateaux inexplosibles
qui faisaient un service de navigation entre Orléans et Nantes.
Les actionnaires de cette entreprise étaient des légitimistes
ayant appartenu aux armées vendéennes" (Gabory).
Mais en 1791 on n'est pas dans les conditions idéales pour des
promenades bucoliques sur la Loire et le Marquis pense à émigrer
avec sa famille.
A l'automne de 1791, le Marquis et la Marquise sont à Paris et
ils sont fort préoccupés, comme l'indique cette lettre conservée
aux archives de Clisson.
"Paris, 1er Novembre 1791.
Me voilà encore ici mes enfants sans savoir quand j'en partirai
ce qui m'ennuie bien car j'ai grande envie de vous voir, surtout Constance.
Je voudrais bien la savoir accouchée. Son mari m'a mandé
qu'il lui avait écrit deux fois. Il se portait bien le 28 ; il
a grande envie de revenir avec nous. Si nous passons l'hiver ici j'irai
sûrement vous chercher. Les nouvelles ne sont toujours point stables:
un jour on a de l'espérance, le lendemain elle est détruite.
Nous sommes toujours dans les plus grandes craintes pour Saint-Domingue;
il a sûrement les plus grandes craintes à en attendre ...
Si l'aumônier des Echardières fait des difficultés
pour venir vous dire la messe, priez Notre-Dame des Champs de permettre
que l'Abbé Muhen ou Le Merle vienne vous la dire ... Mille amitiés
mes chers enfants, je vous aime de tout mon coeur. J'ai grand besoin de
vous revoir. Nous nous portons très bien ..."
A
suivre ...
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