UN
BICENTENAIRE -1802- RETOUR D'EMIGRATION
Lors
de notre réunion du 4 août, nous saisirons l'occasion de
commémorer le bicentenaire du Retour d'Emigration. La loi du 8
avril 1802 permettait à la majorité des exilés de
se faire radier de la liste des émigrés, soit en prouvant
( ?) qu'ils étaient partis " par crainte et sans combattre
", soit en s'engageant à ne pas nuire au nouveau pouvoir.
Il est intéressant de rappeler qui
sont nos ancêtres communs vivant au début de la Révolution
qui quittèrent le Royaume.
Il s'agit de :
-1- Constance de La Rochejaquelein et
Jacques Guerry de Beauregard, d'où sont issus les Guerry, Chabot
et Tinguy.
-2- Adélaïde-Philippine de
Durfort-Civrac, grand-mère de Victoire de Donnissan, d'où
la branche Louis, et mère de Guy-Emeric Duc de Lorge, d'où
les Cathelineau et les Colbert de Maulévrier.
Ces familles étaient d'ailleurs déjà
apparentées et alliées. Nous voyons donc que, mis à
part les Beaucorps, nous comptons tous deux émigrés au moins
dans notre ascendance.
Nous avons été frappés
par d'autres coïncidences.
Les départs ont tous été
précoces, ce qui témoigne de la pureté des mobiles
et des convictions.
Adélaïde-Philippine, son fils
Lorge, sa fille Chastellux, partent dès l'automne 89 pour accompagner
et servir la Comtesse d'Artois et les deux Mesdames, filles de Louis XV.
C'est le Roi en personne, lequel se considère,
après le serment du Jeu de Paume, trop affaibli et comme déchu
de sa fonction de monarque absolu de droit divin, qui leur ordonne de
quitter la France.
Les autres s'en vont dans l'été
91. " L'émigration est le plus sacré des devoirs
", ont-ils pensé. Louis XVI, devenu une ombre, inopérant,
moqué, annihilé par des forcenés et des coquins,
encourage en secret l'émigration, quitte à la désavouer
en public. "Ceux qui partent ne sont pas nécessairement
des traitres pour autant. ".
Une grande voix nous l'a affirmé
en juin 1940.
Mais ceux des nôtres qui s'exilent,
ce n'est pas pour faire la guerre. Vous ne les retrouverez ni à
Valmy ni à Quiberon. Chez nous on part en famille, père,
mère, enfants en bas âge, neveux et nièces. C'est
le cas des Guerry-Chabot. La famille est un bloc, elle va s'accroître
avec des naissances (Guerry-Chabot), des mariages (Durfort, Jaucourt,
Chastellux). Même la mort ne l'ébranlera pas. Et où
vont-ils ? Tout d'abord, ils s'arrêtent de l'autre côté
de la frontière. Dans un coin où trouver des parents et
aussi des "frères maçons " (les Guerry
à Namur). Mais quand les sans-culottes arrivent, on prend de la
distance ; la préférence est pour l'Allemagne, dans sa partie
catholique mais aussi dans la luthérienne car nos parents se souviennent
de leur ascendance huguenote et d'une autre émigration, celle d'après
la Révocation de l'Edit de Nantes.
Nos aïeux choissent tous les Marches austrohongroises, Styrie, Carinthie,
Moravie. Adélaïde-Philippine est à Klagenfurth avec
Marie-Thérèse, Comtesse d'Artois, malade autant mentalement
que physiquement, abandonnée de son mari. Sa belle-fille est à
Budweiss chez la Comtesse de Provence. Le pays est calme (Bonaparte ne
viendra le dévaster qu'en 1805). La petite cour de Klagenfurth,
qui voit passer beaucoup de visiteurs est au fait de la situation internationale.
On communique facilement par courrier avec les Guerry-Chabot qui ont trouvé
refuge dans le Comitat de Györ à mi-chemin entre Vienne et
le lac Balaton, une région riche en souvenirs français,
en églises et en monastères qui datent de la période
où des princes d'Anjou régnaient en Hongrie.
L'Evêque de Györ a mis à leur disposition un vaste domaine
agricole. C'est Kissberr (petit loyer), aujourd'hui haras national, dans
la vallée de Bakonyi.
L'esprit tranquille, chaque membre de la famille va trouver à s'occuper.
On s'habille à la hongroise, on apprend la langue magyare, trois
filles naissent dont deux survivent ; l'une est Adélaïde qui
épousera au retour Constant de Chabot, tige de la nombreuse descendance
que vous connaissez, à tel point que l'on peut dire que sans la
foi et la ténacité de Jacques et de Constance, nous chercherions
en vain aujourd'hui un Chabot en Vendée.
A Kissberr règne une intense activité rurale. C'est le moment
de mettre en pratique les recettes agronomiques des Encyclopédistes.
On fabrique des charrues à soc métallique pour le labour
en profondeur, on assole, on teste des semences et des engrais, on draine,
on croise des races de bestiaux, on plante des arbres, on en greffe d'autres.
On s'entraide avec les voisins, on échange ses savoirs. Par exemple
: on fabrique des fromages de brebis à pâte persillée.
Adélaïde de Guerry et Marie-Antoinette de Chabot se passionnent
pour la basse-cour. Elles vivent entourées de canards, d'oies,
de dindes et de paons dont elles imitent parfaitement les cris. Un regret
: la région n'est pas une terre à vigne. Il faut faire venir
du vin de Tihany sur le lac ou de Tokaj dans les Tatrys. Mais il y a aussi
des activités et des nourritures spirituelles. Comme des relations
suivies avec l'Evêque de Györ avec le prince Esterhazy qui
a un palais sur la place de la Cathédrale ; mais il n'est pas certain
qu'on y ait entendu son maître de chapelle Josef Haydn, souvent
en déplacement à Londres à cette époque.
Tout à côté de Kissberr se trouvent deux magnifiques
abbayes : celle de Zirc, cistercienne, appelée aussi " la
nouvelle Clairvaux " - et celle de Pannonhalma, peuplée
de nombreux bénédictins et riche d'une librairie de plus
de 300 000 volumes.
Auguste de Chabot profite de ce qu'il s'est blessé au bras, ce
qui l'empêche de moissonner, pour ranger la bibliothèque
épiscopale et raconter aux autres ce qu'il y a lu. Son fils partage
le temps entre le dessin, la peinture, les confitures, la confection de
pâte de guimauve et d'un médicament à base de lait
de brebis et d'eau thermale.
Et le temps passe vite ; arrive 1802 - l'an 10 - pour parler pataud, la
" loi de Germinal ". Le retour est décidé.
Une vraie foule grimpée sur des chars attelés de grands
et rapides bufs de Hongrie accompagne la famille jusqu'à
la frontière autrichienne.
La séparation se fait dans les larmes comme s'il s'agissait de
parents proches, d'amis très chers. Alors commence un Trek interminable.
On se hâte le long du Danube. Passé le Rhin, on découvre
une France méconnaissable. Toutes les églises, les monuments
de Bourgogne anéantis. Dijon, Bourges, Tours dépeuplés.
Et Cholet ? Un tas de cendres. Tous cela n'est rien au regard de la Vendée.
Ils s'attendaient à des ruines mais là... Dans leur lointain
petit paradis ils n'avaient pu imaginer l'existence des colonnes infernales
et du génocide.
Le Parc Soubise brûlé, l'Ulière brûlée,
la Durbelière brûlée, les Gats brûlés,
les bois dévastés, les avenues abattues, les serres, les
écuries, les chenils à ciel ouvert, vides. Et le long des
chemins défoncés, des églises sans clocher, des fermes
abandonnées, des champs incultes.
Mais voilà qu'à Mouchamps s'enfle une rumeur : " Les
maîtres reviennent, Monsieur le Comte est de retour. "
De partout affluent les paysans, la terrasse du Parc est noire de monde,
une grosse berline se fraie un passage pour passer le pont des douves.
Devant le château noirci, décapité, fenêtres
béantes, les gorges se nouent, le silence se fait ... Mais cela
ne dure pas, et Charles de Chabot, redevenu le Comte entonne d'une voix
émue mais énergique le TE DEUM. Et tous de répondre
comme un écho que personne n'oubliera " Sauvez, Seigneur,
sauvez notre peuple et bénissez votre famille. "*
C'était la Saint Rémi 1802, quand la Saint Rémi était
encore fêtée le 2 octobre.
*Prince Alain Murat.
" Un gentilhomme dans la tourmente. "
A-M.B.
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