BULLETIN
LE
TROIS MATS BARQUE « LA ROCHEJAQUELEIN »
(1902-1915)
En
cette année du centenaire de la grande guerre, je
cherchais sans trop y croire s’il pouvait avoir une relation entre elle
et
notre association. C’est en relisant dans le bulletin de 1998 l’article
de G de
Beaucorps que je tins ma piste, un trois mats avait porté le nom de La
Rochejaquelein
et sa vie maritime fut jalonnée de fortunes de mer et d’exploits.
Le La
Rochejaquelein fut un trois-mâts barque construit aux
chantiers Nantais
de Constructions
Maritimes, lancé en novembre 1901 pour les armateurs Bureau Frères
&
Baillergeau de Nantes. Armement (société qui équipe à ses frais un ou
plusieurs
navires marchands) créé entre 1893 et 1903 pour profiter de la prime à
la
construction des voiliers à coque d'acier. Il possédait les
caractéristiques
suivantes : L 79.80 m, l 12.26 m, h 6.89 m pour un port de
3100 tonnneaux
soit 8773 m3 de fret.
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Entre
1900 et 1902,
l’armement Bureau Fréres et Baillergeau
mit sur cale au chantier Nantais de Chantenay 5 voiliers semblables :
le
Babin-Chevaye,
le Bayard,
le Bougainville,
le La Rochejaquelein
et le
Tourville.
A
son neuvage, (état d’un navire à son entrée en service) sous le
commandement du capitaine Ernest Durand, dans la nuit du 13 février
1902, par temps
brumeux et mer belle, alors qu'il était à six nœuds, sous remorque du Flying
Serpent à destination de Barry Dock (Pays de Galles), il
fut abordé à l'avant par
une goélette de 200 tonneaux qui coula immédiatement mais l'équipage
réussit à se
réfugier sur le trois-mâts. |
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Le La Rochejaquelein
appareilla de Barry Dock avec un chargement de
charbon à 20,42 francs la tonne, pour l'Afrique du Sud qu'il atteignit
en 41
jours. Il alla ensuite sur lest à Tegal (Indes néerlandaises) pour
charger du sucre à
30 francs la tonne pour Philadelphie (Etats-Unis). Le 13 Février
1903 le capitaine Ernest Durand, commandant le trois-mâts
barque La
Rochejaquelein, quitta sur lest le port de Wilmington et
descendit le fleuve
Delaware pour gagner la haute mer et rejoignit Cherbourg. Arrivé en eau
libre le 13 à
minuit, il donna liberté de manœuvre au remorqueur. Le pilote quitta le
bord,
la voilure fut établie, le cap Henlopen s’estompa, la traversée
commençait...
Le
26 Février à 6h le
navire franchit le méridien du Cap Lizard.
Avec
son équipage de 23
hommes, il venait de
réaliser une traversée de l'Atlantique
« Cap Henlopen (Delaware) - Cap
Lizard » en exactement 12
jours. L'exploit du capitaine
Durand, pratiqué dans le
cadre de ses activités professionnelles (Marine Marchande), ne fut
jamais
homologué. Le record de
La Rochejaquelein tiendra 77
ans ! Il ne
sera battu qu'en 1980 par Eric Tabarly et ses 3 équipiers sur le
trimaran Paul Ricard
en
10 jours, 5 heures, 14 minutes et 20 secondes.
Ce
voyage de 419 jours,
avec les deux frets et la prime de navigation (loi de 1893) permit une
recette totale de 249 223 francs,
mais les frais étaient de 211 308 francs. Le bénéfice apparent était de
37 915
francs, mais hors amortissement du prix du navire et hors frais des
actions.
Le
deuxième voyage se fit de Cherbourg à Swansea pour charger du
charbon à destination de San Francisco en revenant avec du blé. Un
voyage de 379
jours, et un bénéfice de 17 000 francs, hors amortissement. Le
troisième voyage,
à l'identique, dura 321 jours, avec un bénéfice de 50 000 francs. Les
quatrième et cinquième voyages furent similaires. Le
capitaine Durand, qui était resté 6 ans à bord, fut remplacé par le
capitaine
Jean Nicolas en Australie, au printemps 1908, lors du 6ème voyage,
revenant de
nouveau par Portland. Nicolas fit le septième voyage, de nouveau pour
les
Etats-Unis. Le huitième passa par l'Australie, le Chili, de nouveau
l'Australie
puis les Etats-Unis. Il dura 575 jours.
Le capitaine Hélary fit le neuvième voyage, pour le Chili, en 425
jours, et le
dixième voyage, pour les Etats-Unis.
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Le
onzième se fit pour l'Australie, avec escale à Freemantle (Australie)
du 1er
janvier au 6 février 1915 où le capitaine Jean-Marie Créquer prit le
commandement.
Pour le douzième voyage, le capitaine Victor Rebillard prit le navire
en charge
le 26 septembre 1915 à Londres, sur lest, pour l'Australie où il
chargea du
charbon pour San Francisco, revenant avec du blé vers l'Europe, que
jamais il
n’atteignit...
Extrait
du livre de
bord :
« A 10h, le 14
Novembre, ma position était 15 milles
dans le S.O. 1/4 ouest de Lizard ; je me trouvais sur la dunette,
inspectant
l'horizon, lorsque j'ai aperçu un petit navire qui m'a tout d'abord
paru être
une embarcation à voile. Ne me fiant pas à cette première observation,
j'ai
continué à le suivre avec la longue vue et j’ai bientôt eu la
conviction qu'un
sous-marin allemand (l’UC 17 commandant Ralph WENNINGER) se dirigeait à
toute
vitesse sur le navire, venant de l'ouest. J'ai fait aussitôt prévenir
tout l'équipage
et chacun a pris son poste pour amener les embarcations.
Lorsque
le sous-marin est arrivé à 2 milles, il a hissé le signal de code
international
I.M. : "Stoppez
immédiatement ou je fais feu sur vous". J'ai fait
mettre en panne aussitôt. Il a hissé le signal ensuite le signal A.B.
:"Abandonnez le navire
le plus tôt possible". J'ai alors donné
l'ordre d'amener les deux embarcations ce qui a été fait très
rapidement et
tout le monde y avait pris place en moins de cinq minutes. J'ai quitté
le
navire le dernier. Le sous-marin se trouvait à environ deux cent mètres
du bord
en ce moment. Comme je m'écartais avec mon embarcation contenant une
partie de
l'équipage, un officier m'a donné l'ordre d'accoster. Ce que j'ai fait
aussitôt
et il a commandé en anglais d'embarquer tout le monde sur le pont du
sous-marin. |
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Ensuite
un officier
et un homme sont embarqués dans la chaloupe et ont commandé à quatre
hommes de
mon équipage de les conduire à bord de La Rochejacquelein. Ils étaient
armés de
revolvers, haches et bombes. Deux hommes de mon navire sont montés à
bord et
ont dû ouvrir les panneaux de la cale. Ensuite, les Allemands leur ont
ordonné
de les conduire dans toutes les parties du navire où ils pourraient
trouver des
vivres. Ils ont alors tout démoli dans les cabines de l'arrière à coups
de
hache et ont fait descendre dans la chaloupe tout ce qui leur tombait
sous la
main (vin, pain, cuivre, capots de compas, sextant du capitaine,
baromètres,
chronomètres, etc...). Ils ont insisté à plusieurs reprises auprès des
hommes
pour savoir où se trouvaient les papiers du navire, mais ils
étaient
cachés dans la chaloupe et n'ont pu être découverts. L'officier faisant
la
fouille a été trompé sans doute par une enveloppe contenant de vieux
papiers
qu'il a fait passer aussitôt sur le sous-marin d'un air de triomphe. Le
transbordement ne s'effectuant pas assez rapidement avec la chaloupe,
le
sous-marin fut accosté le long du bord et le capitaine nous a donné
l'ordre de
prendre le large.
Peu
de temps après,
nous avons entendu deux explosions produites par les bombes. Le navire
a pris
la gîte sur bâbord et a coulé en vingt minutes.
Nous avons
été recueillis ainsi que le reste de l'équipage se trouvant
dans la
baleinière, par deux chalutiers Anglais armés en guerre ; l'un d'eux
nous a
conduit à Falmouth*, remorquant les embarcations. Nous avons été bien
traités
sur le chalutier dont le capitaine a fait son possible pour nous
procurer le
nécessaire. Nous sommes arrivés à Falmouth à 6 h du soir ».
| Ralph
Wenninger
a rejoint les U-boat
en Décembre 1914. Il
a d'abord servi sur l’UB 17 du 4 mai 1915, puis sur UC 17 du 23 Juillet
1916 et
a pris le commandement de l’UB 55, le 1er Juillet 1917.
En Novembre 1917, il a été promu au grade de Capitaine Lieutenant. Le
30 Mars 1918,
il reçut la croix du Mérite Allemand. Il devint un prisonnier de guerre
avec
une partie de son équipage le 22 Avril 1918 après que l’UB 55 (dernier
sous-marin commandé par Wenninger) ait heurté une mine dérivante dans
le
barrage de Douvres. Entre 15 et 20 hommes, soit la totalité de
l’équipage, ont
évacué le sous-marin en perdition, mais seulement 8 ont été retrouvés
vivants par
le chalutier britannique Maté. Un des hommes est
mort sur le
bateau alors qu'il était transporté à Douvres. Ralph Wenninger a envoyé
par le
fond 97 navires marchands.
Wenninger n’est pas resté dans la marine, il a rejoint la Luftwaffe le
1er Mars
1935 comme Colonel et, est même devenu General d’Aviation le 1er
Novembre 1940.
Il est mort en Italie dans des circonstances inconnues, le 13 Mars 1945. |
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L'armement Bureau Frères
& Baillergeau a perdu trois
grands voiliers au cours de la guerre de 14-18. Les La Rochejaquelein,
Babin
Chevaye et Bougainville.
C'était la moitié de la flotte qu'il possédait.
*Mon Oncle Antoine Marie
Bergeron me fait remarquer que
c’est à Falmouth que s’embarquèrent le 15 décembre 1792, le marquis de
La
Rochejaquelein, son épouse Constance et leur second fils Louis. Ils
voulaient
aller à Saint Domingue mais ne dépassèrent pas, après une périlleuse
traversée,
Kingston en Jamaïque.
François de Laujardière
Sources
:
- Patrick Ahern, French
sailing ships at Australian ports,
arrivals and departures 1898-1925
- René Richard et Jacques Roignant, Les navires
des ports de la Bretagne
provinciale coulés par faits de guerre 1914-1918.
- Louis Lacroix "Les derniers grands voiliers"
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