Je ne parlerai
pas de la vie de Juliette à Turin et en Italie. Vous la
connaissez bien déjà, grâce à des biographes,
la meilleure étant celle de De Montani et aussi grâce
à la relation de Don Joseph Tuninetti dans le dernier numéro
de la revue " Giulia ".
Je vais essayer de vous citer quelques détails de la vie
de Juliette de sa naissance à l'année 1815 - détails
encore inédits -
Juliette voit donc le jour à Maulévrier le 26 juin
1786, il y aura demain 220 ans.
Elle est baptisée le jour même. Son père,
Édouard Victurien, très heureux de la naissance
de sa seconde fille a convoqué des musiciens. Toute la
population chante et danse dans la cour du château, devant
les douze couleuvrines données par le Doge de Gênes.
Stofflet, le chef garde-chasse veille au bon déroulement
de la festivité.
Dans l'hôtel particulier de la rue de la Chaise, le bébé
se porte bien, bercé par la sur de Stofflet sous
la surveillance de sa mère et celle de sa grande mère
qui habite à deux pas rue du Bac.
La Révolution arrive, on ne va guère à Maulévrier
où des troubles éclatent rapidement. C'est à
Paris que naît un garçon, Édouard Auguste
le 30 mai 1790.
Le père de Juliette est très actif en Allemagne
mais il est destitué en 1792 de son poste de diplomate
et rappelé en France. Il n'obéit pas au gouvernement
jacobin et, par prudence, il fait venir toute la famille à
Brussel où il loue une grande maison adossée aux
remparts de la ville.
Bientôt l'avance des armées républicaines
oblige la famille à se réfugier provisoirement à
Arnhem, capitale de la province de Gueldre.
C'est là que naît le 10 février 1793 un second
garçon, Charles Antoine. Quelques semaines plus tard Édouard
Victurien, grimé et muni de faux passeports se rend à
Versailles et à Paris où sa mère, Charlotte
de Manneville, lui remet de l'or et des bijoux. Il manque de se
faire arrêter, se cache à Vilbon et retourne à
Brussel. Il ne reverra plus sa mère qui sera guillotinée
le dernier jour de la Terreur et enterrée dans le charnier
de Picpus.
La mère de Juliette ne se remet pas de son accouchement,
pour la distraire un peu, on organise une petite fête à
l'occasion du 7° anniversaire de la petite Juliette. Réjouissances
et cadeaux : un pierrot broché, une robe en toile anglaise,
des gants
C'est aussi le début d'une éducation sérieuse
avec les premières leçons d'allemand, de dessin
et de danse. Son père lui verse une pension : 3 livres
par mois. Elle sera portée à 6 livres à 10
ans puis 21 livres à 14 ans.
À Brussel, on se bat maintenant dans les rues. La mère
de Juliette chassée de sa maison meurt dans des circonstances
mystérieuses près de la cathédrale Sainte
Gudule. Mais on ne retrouvera jamais son corps.
Après le départ de Mlle Stofflet, une certaine Sophie
la remplace en tant que gouvernante puis ce sera la tante Anne-Marie
Paris, comtesse de Crénolle, nièce de la Pompadour.
Elle vit chez les Colbert, son mari est à Coblence dans
l'armée du Prince de Condé.
Édouard Victurien, lui, quoique maréchal de camp,
ne combat pas. Il se rend très utile en distribuant aux
Émigrés les secours financiers que leur envoient
le haut Clergé et les souverains catholiques allemands.
En juillet 1794, nouveau déménagement : cette fois,
direction Essen en Rhénanie. Il prend beaucoup de plaisir
à la navigation sur la Meuse, de Liège à
Aix-la-Chapelle avec des arrêts presque " touristiques
" à Maastricht et à Venlo.
Mais le climat trop humide d'Essen aggrave la tuberculose pulmonaire
d'Anne-Marie Paris qui est devenue une seconde mère pour
Juliette. Elle s'éteindra en juillet 1795 après
" une vie toute d'amour et de prière " dans une
belle demeure de la ville de Munster, face à l'église
Saint Maurice. C'est là que toute la famille : Édouard
Victurien, ses deux filles, ses deux garçons et trois domestiques
vont passer les six années suivantes de leur exil. Le père
prend en main l'éducation des aînés, ce qui
lui est facile, car les opérations militaires se sont déplacées
vers le sud de l'Europe. Munster, cité ecclésiastique
et universitaire, dépend de l'Archevêque Électeur
de Cologne ; elles est pleine de ressources. La colonie française,
assez importante est parfaitement accueillie par la population,
à majorité catholique.
La maison se remplit de meubles, un piano pour Élise la
sur aînée, un clavecin pour Juliette. On va
au marché régulièrement faire des achats
pour les enfants : des quilles, des volants, des coiffes en taffetas,
des redingotes de mousseline et aussi un pantographe - dont nous
reparlerons - pour Juliette.
La santé générale est bonne ; elle est d'ailleurs
très surveillée. Les honoraires payés au
médecin, au dentiste et à l'apothicaire en sont
la preuve.
Il y a un bon théâtre à Munster, les abonnements
sont pris et renouvelés, de même que les billets
de loterie.
Les routes n'étant plus dangereuses, on en profite pour
faire découvrir aux enfants Cologne, Hambourg, Heidelberg,
Rotterdam et jusqu'à la province danoise du Holstein.
Trois années se passent ainsi dans l'attente de l'évolution
de la situation politique en France - C'est ce qui finit par arriver
au retour d'Égypte de Bonaparte.
Au début de 1801, Édouard Victurien se décide.
Il franchit la frontière, personne ne l'arrête. Il
n'est d'ailleurs pas véritablement un émigré
puisqu'il avait été régulièrement
envoyé en mission à l'étranger avant la révolution.
Son arrivée à Paris ne passe pas inaperçue
de la Police de Foucher. Bonaparte veut le prendre à son
service. Pars trois fois, il refuse obstinément. Cela va
lui coûter 350 000 livres, le montant de la dot de sa femme
qui avait été placée en rentes sur l'État,
ainsi que la jouissance de ses terres et de son bois de Maulèvrier
qu'il devra racheter. Il lui faudra aussi payer plus tard une
dispense pour que son fils aîné ne soit pas enrôlé
dans l'armée impériale.
Bien vite il prépare le retour de sa famille.À Paris,
les hôtels Colbert de la rue St Dominique et celui de la
rue du Bac ont été vendus. Il reste celui de la
rue de la Chaise, délabré et pillé. Il le
fait nettoyer et meubler avec l'aide de ses amis Pracomtal, propriétaires
du Château de Vilbon, où il s'était caché
pendant son voyage secret en 1793.
Enfin 1802, tout va bien à Munster. Édouard Victurien
dirige un ultime déménagement. Mais il ne peut pas
tout emporter. À regret, il faut vendre piano, clavecin,
tables, coffres et lits, un grand nombre de livres et aussi, pour
subsister, ce qu'il reste de bijoux et argenterie.
Longue est la route et fréquentes les haltes pour revoir
ceux des parents ou amis qui ont survécu.
Élise, qui n'est jamais pressée, arrive la dernière
à Paris le 1er mai. C'est un jour faste dont tous se souviendront.
On vient justement d'acheter, pour 9 livres, un gros registre
sur lequel sera noté, jour après jour, toutes les
dépenses de la maison de la rue de la Chaise et cela pendant
30 ans.
Voici d'ailleurs ce qui fut consommé au dîner de
ce 1° mai 1802 : Asperges, grenouilles, quatre pigeons, 2
poulets, fromage du Berry et douze gâteaux.
Il s'agissait d'un repas ordinaire. En cas de cérémonie
apparaissent des truffes, des primeurs de fruits et de légumes,
des glaces qui viennent du café Procope au Palais Royal.
La lecture du registre nous apprend que les grenouilles étaient
sur la table un jour sur trois environ et que le poisson, les
fromages arrivaient de très loin. Il y avait un grand choix
d'épices et du chocolat pour Juliette acheté chez
Bailly, confiseur rue Vivienne -
Pour les boissons, le vin ordinaire était acheté
par barriques et le vin fin par bouteilles. Il s'agissait de Bordeaux,
du Médoc et de préférence du Léoville
à 2 livres la bouteille.
Thé et café à volonté, aussi de la
bière ; la limonade était fabriquée à
la maison avec des baies de sureau. Le sucre était acheté
par 25 Kg.
Le laitier, le boucher, le boulanger, le porteur d'eau étaient
payés à la fin du mois.
La dépense mensuelle se montait à 500 ou 600 livres.
Il n'y avait pas de cocher, ni de chevaux, d'où une dépense
supplémentaire pour chaque déplacement à
l'intérieur et hors de Paris.
L'hôtel particulier de la rue de la Chaise, que certains
d'entre vous connaissent déjà était construit
entre une cour avec une belle porte cochère et un jardin
qui s'étendait jusqu'à une chapelle de l'ancienne
" Abbaye au Bois ". Ce n'était pas une paroisse
- à la différence de Saint Sulpice - mais il y avait
un curé qui officiait. Édouard Victurien donnait
généreusement à la quête et pour le
pain bénit. Il s'acquittait aussi d'une dispense pour "ne
pas faire Carême ", 24 livres pour toute la maisonnée,
payées à l'archevêque de Paris.
Juliette maintenant majeure (14 ans). Son éducation se
poursuit. Les cours d'Anglais ont remplacé ceux d'Allemand
et - est-ce une prémonition ? - elle a aussi un maître
d'Italien. Il n'est plus question de leçon de danse, sans
doute inutiles et le dessin est privilégié. Le peintre
Jean-Baptiste Greuze, qui avait échappé à
la guillotine, vieux et presque ruiné, venait de reprendre
ses pinceaux et de rouvrir, avec sa fille Anne-Genevièvre,
son atelier de peinture. Juliette fut une de leurs rares élèves.
Ils connaissaient déjà la famille Colbert dont quelques
membres s'étaient fait tirer le portrait chez eux.
Juliette s'exerçait sur les épreuves du Maître.
Sur de simples copies, elle ajoutait des variantes et des fantaisies.
C'est ainsi que " la petite fille au chien " devenait
la " petite fille qui tient un chien ". Un épagneul
remplaçait un basset, la tête à droite - ou
bien à gauche
Image fidèle ou reflets dans
un miroir ? Et pour finir c'était " la petite fille
avec le chien King Charles " que tout le monde connaît.
Juliette, qui avait déjà " une bonne main "
et l'expérience du pantographe prenait là un plaisir
extrême.
Édouard Victurien a remonté sa garde-robe et même
acheté trois perruques à la Cadogan, mais il ne
s'est pas rallié au Premier Consul, il n'a guère
de vie mondaine. Les familiers de la rue de la Chaise se réduisent
aux parents proches comme le frère Èdouard Charles
enfin revenu d'Amérique mais qui se marie rapidement -
en 1803- pour aller vivre à Montboissier près de
Vendôme. C'est sur la route de Maulèvrier, mais Juliette
répugne à s'y rendre pour ne pas voir les ruines
calcinées du village et du château incendiés
à deux reprises par les Colonnes Infernales. Il ne reste
d'habitable que le petit pavillon de gauche dans l'arrière-cour.
L'année suivante, 1804, c'est Élise qui se marie,
à Fontainebleau. Son mari Charles Louis Le Peltie d'Aunay
de Rosanbo et son cousin Jacques de Chastenet de Puységur,
tous deux écrivains renommés sont des adeptes du
magnétisme. Ils ont réussi à faire la part
des phénomènes dus à l'électricité
statique et les ont blanchi du soupçon de "magie noire
" entretenu trente ans auparavant par des charlatans criminels.
Nous pouvons imaginer Juliette, avec l'espièglerie dont
elle fait preuve dans les dessins qu'elle nous a laissés,
interrogeant " Esprit est-tu là ? " et faisant
" tourner les tables " avec d'autant plus de facilité
qu'on les remue subrepticement.
Plus sérieuse fût l'influence de la Marquise de Pastoret
qui fut pour Juliette l'émule d'une méthode nouvelle
d'éducation des enfants par la douceur, la persuasion,
la prière et l'amour de Dieu.
Les grands amis ce sont les Pracomtal, fidèles entre les
fidèles. Ils avaient caché Édouard Victurien
lors de son voyage secret sous la Terreur et depuis l'avaient
informé de la situation politique. Depuis son retour, les
contacts sont très fréquents, à Paris ou
chez eux,à Vilbon, où l'on va en fiacre. C'est là
qu'auront lieu le mariage religieux de Juliette et celui, six
ans plus tard, de son père.
Donc le 18 août 1806 mariage de Juliette. Chacun connaît
ce véritable conte de fée, le coup de foudre dans
une antichambre du palais des Tuileries après la gifle
donnée par la future duchesse d'Abrantes à Juliette
qui " traînait les pieds " au service de l'impératrice
Joséphine.
Celle-ci, qui valait mieux que son époux, arrangea les
choses. C'est elle qui signa, avec Napoléon, le contrat
de mariage à Trianon le 18 juin.
La dot était de 180.000 livres à laquelle s'ajoutait
une pension du grand-père maternel le Marquis de Crénolle.
Elle était la bienvenue car " Tancrède "
n'était payé de sa fonction de page, puis de Chambellan
que par l'honneur qu'il devait en avoir". Et comme il n'était
pas " un fils de famille " au domicile de ses parents
à Turin, ceux-ci ne lui envoyaient pas d'argent.
Le mariage religieux fut béni à Vilbon. Les jeunes
époux étaient comblés de cadeaux : bijoux,
vêtements, mobilier et même un portrait du grand ministre
Jean-Baptisite Colbert. Ils firent la tournée des cousins
dans leurs propriétés de Normandie et de Champagne
avant de fixer à Paris dans un appartement de Boulevard
des Capucines puis place Vendôme.
Le voyage à Turin, c'est Édouard
Victurien qui va le faire en janvier 1807. Pour des raisons d'économies,
il préfère se déplacer seul ; le trajet revient
en effet à 825 livres - Mais en contrepartie, les frais
domestiques de la maison de la rue de la Chaise diminuent quand
le maître est absent : 190 livres par mois au lieu de 600
environ.
Le père de Juliette va rester dix mois à Turin.
Il est bien reçu et bien traité au Palais Barol
mais il est scandalisé par le mode de vie des nobles piémontais
et leur façon de se conduire. Le Marquis Ottavio della
Morra, père de Tancrède, s'est entièrement
rallié à Napoléon qui l'année suivante
le nommera Comte et sénateur de l'Empire. Ila même
surchargé ses armoiries de la " Domus aurea "
ce que nous considérons comme un crime de lèse majesté
envers le souverain légitime.
Question finances, Ottavio, en application de la coutume du Piémont,
refuse de donner de l'argent à son fils et encore moins
à sa belle fille alors qu'il possède une énorme
fortune et 5000000 livres de rente - si son fils a besoin d'un
vêtement ou d'un meuble - qu'il demande - le marquis lui-même
le choisit, le paie et le fait livrer
au palais Barol.
Pour Édouard Victurien les rapports avec les nobles de
Turin manquent de cordialité. Il est vrai que l'atmosphère
politique : exil du Roi, occupation française, est loin
d'être joyeuse. Il est inutile de se présenter au
domicile de la personne que l'on souhaite rencontrer. La porte
est close et les volets fermés d'ailleurs il n'y a pas
de portier et les escaliers sont sans lumières. Les contacts
n'ont lieu que dans les loges, minuscule et sales, de l'Opéra
qui reste le seul endroit possible pour se voir et échanger
quelques paroles.
Édouard Victurien préfère excursionner dans
la campagne en des lieux où vécurent ses ancêtres
comme Saluces et Montferrat ou d'autres qui évoquent des
batailles où ils ont combattu comme Staffarda.
Enfin il s'étonne du mauvais état des vignes mal
taillées et de la mauvaise qualité du vin qui ne
se conserve pas. Cette réflexion nous fait mesurer l'énorme
tâche que Juliette dut entreprendre pour donner an nebliolo
et au barbareseo la renommée qu'ils connurent dés
son vivant.
À ce sujet Édouard Victurien constata que les Faletti
officiaient comme lui une affection pour le vin de Léoville.
Il prit l'habitude de leur envoyer, chaque année, quelques
bouteilles.
En 1812, il se remaria avec Pauline de Juigné, la nièce
du dernier Archevêque de Paris avant la Révolution.
Elle était aussi sa légataire universelle.
Service religieux à Vilbon - belle cérémonie
- musique, beaux habits, nouvelles perruques et libéralités
de l'assistance.
Juliette n'est pas oubliée. Pour elle : livres de musiques,
bouteilles de vin, de marasquin, de tafia, du thé, de la
pâte de guimauve, d'amande, de marron, d'abricot et bien-sur
du chocolat, " des bâtons de chocolature ". elle
reçoit même une chasuble, on ne sait pour quel usage.
L'année suivante, naissance d'un fils, le dernier enfant
prénommé René Victurien, avec lequel s'éteindra
la branche masculine des Colbert de Maulévrier.
Ensuite c'est une période de silence, de fin de règne,.
Le 20 avril 1814 le jour des " adieux de Fontainebleau "
un grand bruit réveille Tancrède et Juliette, ils
voient sous leurs fenêtre Place Vendôme rouler la
statue de Napoléon. Et de l'autre côté de
la Seine, les Cosaques campent dans la cour de l'hotel de la rue
de la Chaise.
Et Maulèvrier pendant tout ce temps ? Seul Édouard
Victurien s'en occupe. Il reconstruit le château presque
à l'identique, méticuleusement mais lentement. Une
fois terminé, du moins pour le gros uvre extérieur,
le 1 octobre 1820 il inaugure un obélisque à la
mémoire de Stofflet.
Juliette est là, une foule immense la reconnaît et
la salue comme Jeanne d'arc, symbole de la grandeur des Colbert
et de la pérennité de la Vendée.
C'est avec émotion que j'évoque un événement
qui fut probablement un tournant dans la vie de Juliette avec
une vision de son avenir. C'était le 2 juin mille huit
cent quinze. Trois mois avant, Bonaparte avait quitté l'Ile
d'Elbe ; la guerre reprenait partout.
À Rome, à Florence on criait " Le roi Murat
arrive " et tout le midi remontait vers le nord
Même le Pape Pie VII était déjà à
Gênes où l'on criait aussi " Le roi Murat arrive
". Et le pauvre Pape repartit sur la mauvaise route de Turin.
Mais à Turin, ce n'est pas Murat qui arriva mais l'annonce
de la bataille de Waterloo. Alors le Pape dit : " Il faut
chanter un Te Deum ". L'archevêque Pacca ajouta "
Il faut faire une Ostension du Saint Suaire " Tout de suite
!
Sitôt dit, sitôt fait. Une foule immense grouillait
sur la Place du Château. Dans le salon au dessus de la Chapelle,
le Pape et l'archevêque sortaient le linge hors des sept
boites, la dernière en or, et tous les deux, ils l'étendaient
sur le balcon d'abord de face, puis à droite, puis à
gauche.
Ensuite ils se mirent à la replacer dans la petite septième
boite. Mais leurs gestes étaient maladroits.
À coté d'eux se tenaient Juliette et son amie Adèle
d'Osmond, la fille de l'ambassadeur de France. Les deux jeunes
femmes voulurent aider à plier le Saint Suaire. Mais l'archevêque
s'écria " Arrêtez ! Il n'y a que le Pape ou
un Prince de l'Église qui aient le droit de toucher "
; et ils bourrèrent en vitesse le Linge dans la boite en
or. Dommage ! mais tant pis !
Sur la place, la foule et les soldats dansaient, chantaient et
criaient :
Vive le Pape !
Vive notre roi Victorio !
Vive la Paix !
Et Juliette pensait
" Maintenant c'en est fini de Napoléon et de toute
sa bande.
Maintenant c'en est fini d'avoir à demander des sous au
beau-père Ottavio, Tancrède va être nommé
décurion et peut-être bourgmestre de Turin
Et moi
moi je serai la mère des petits enfants !
La mère des pauvres gens !
La servante de Dieu !
A.-M.
Bergeron
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