Ceux d'entre
vous qui ont eu la patience de lire dans le bulletin les deux
petits articles sur l'Émigration de nos ancêtres
communs sont déjà au courant de leur existence entre
1789 et 1802.
Il est intéressant de revenir brièvement sur les
causes de cette histoire familiale et de proposer quelques réflexions
sur ses conséquences. C'est une opinion reçue que
de dater le début de la Révolution au 14 juillet
1789. Beaucoup de bruit pour s'emparer d'une Bastille inoffensive
et quasi vide et la transformer en symbole de la tyrannie renversée.
Or, vous savez qu'il ne s'est agi que d'une manifestation d'ivrognes,
qui cherchaient des armes pour dissuader les douanes de l'octroi
de taxer le vin vendu à Paris dans l'enceinte du mur des
Fermiers généraux. "Le mur murant Paris rend
Paris murmurant."
En réalité les choses sérieuses s'étaient
passées trois semaines auparavant, et à Versailles
:
Le
20 juin : serment du jeu de Paume.
Le 23 : refus par Mirabeau de la dissolution de l'Assemblée.
Deux désobéissances au Roi de France, monarque absolu,
de droit divin.
Du jamais vu et ces 2 forfaitures ne furent pas punies.
Dès
lors, la situation est claire : Le Roi ordonne aux Princes de
quitter le pays aux fins éventuelles de le remplacer ailleurs.
"Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis".
La noblesse de cour suit les Princes. Le mouvement prend toute
son ampleur avec les désordres populaires de la fin de
l'année. Les notables ne sont pas les seuls à partir,
des paysans le font aussi par villages entiers, 100 000 personnes
rien qu'en Alsace.
1790 et 1791 sont les années les plus chargées en
personnes déplacées. Louis XVI encourage en secret
l'émigration, quitte à la désavouer en public.
Et c'est la "nuit de Varennes", pour lui une
des plus pénibles stations de sa passion expiatoire, voulue,
consentie...
Alors tout évolue dans le désordre : "une
brillante cohue", dira Chateaubriand. L'armée
de Condé à la fin de 1791, celle de Coblence en
1792, Valmy puis la campagne des Pays-Bas. En 1794, ce sont les
Anglais qui nous encadrent, nous commandent, nous stipendient
avant de nous abandonner en 1795 à Quiberon, comme ils
l'avaient faits en 1793 à Granville.
Fin de la pitoyable, de la lamentable épopée.
Pour les exilés c'est maintenant l'ennui, la médiocrité,
la quête d'un protecteur, d'un abri, du pain quotidien.
Une activité souvent servile, parfois la mendicité.
Par chance, ce ne fut pas le cas de nos ancêtres communs
Jacques-Marie Guerry et Constance de La Rochejaquelein, Charles
Auguste de Chabot et Michelle de Couessal. Plus que des cousins,
plus que des frères et surs, ils sont des Vendéens
de pure race. L'exil, ils l'ont choisi, non par esprit et aventure,
mais pour sauvegarder ce qui pouvait l'être : leurs enfants
et avec eux leur sang, leur foi, leurs traditions. Il y a à
ce sujet une lettre admirable de la mère d'Alphonse
de Lamartine :
"Je me souviens d'avoir vu un jour une branche de saule
séparée du tronc par la tempête et flottant
le matin sur un débordement de la Saône. Une femelle
de rossignol y couvait encore son nid à la dérive
dans l'écume du fleuve et le mâle suivait en vol
ses amours sur un débris".
Notre petit groupe est un bloc, il s'accroîtra par des naissances
et la mort ne l'entamera pas.
On se fixe en terre catholique à la frontière hongroise.
Sur ce riche terroir, la fibre vendéenne va vite s'épanouir.
Justement, l'évêque de Györ leur prête
son domaine agricole de KissBerr, aujourd'hui un haras, dans la
belle vallée du Bakonyi.
Voilà l'occasion de tester les recettes agronomiques des
Encyclopédistes : charrues à socs métalliques,
assolements, engrais chimiques, plantations, hybridations, greffes,
élevage intensif mais aussi sélectif.
Tout réussit, rien ne manque si ce n'est la vigne donc
le vin. Ah ! Les oies, les canards, les oiseaux d'Adélaïde
de Guerry et de Marie-Antoinette de Chabot !
L'éducation des enfants, la récréation des
adultes sont facilitées avec la proximité de l'abbaye
cistercienne de Zyrcz et sa bibliothèque de 300 000 volumes
et aussi de la cathédrale de Györ où vient
jouer Josef Haydn maître de chapelle du prince Esterhezy,
seigneur des lieux.
Et le temps passe ; sitôt le 18 brumaire, la fameuse "liste
des Émigrés" est établie. Au coin
de la Place Vendôme, dans cet immeuble que restaure aujourd'hui
avec beaucoup de goût et autant de petro dollars, le Sultan
de Brunei, le "Bureau de la Commission des Émigrés"
ne désemplit pas. On peut y faire radier un parent avec
quelques certificats, vrais ou faux, et surtout des écus
d'or de 24 livres.
Fouché, ministre de la Police et Grand Juge, décide
en dernier ressort. À sa décharge, il faut savoir
qu'étant lui-même Nantais, il favorisa souvent ses
"pays" en se satisfaisant d'une "promesse de
fidélité à la Constitution du Consulat".
C'est d'ailleurs ce qui arriva à nos ancêtres, le
19 floréal an X (4 avril 1802) soit sept mois de gagnés
avant l'amnistie générale du Senatus Consulte du
13 fructidor.
Et toute la famille réintégra ses foyers dévastés,
les Gâts et le Parc, le jour de la Saint Rémi 1802,
quand la Saint Rémi était encore fêtée
le 2 octobre.
Voilà donc que nous commémorons un Bicentenaire.
Beaucoup de questions se posent. Tout d'abord, qu'auriez-vous
fait à la place de nos grands parents en 1789/92 ?
Seriez-vous restés avec Monsieur Henry ?
Ou, auriez-vous pris la route ? Et dans ce cas, pourquoi ?
Par esprit de conservation ? Par vengeance ? Par peur ? Ou par
désespoir ?...
Et si vous étiez restés en Vendée, sans combattre,
que seriez-vous devenus ? Des patauds, des renégats, des
jureurs, des voleurs de biens nationaux ? Eh oui, il y en a eu...
Ou bien des ombres silencieuses, tremblantes dans leur cachette,
aussi neutres qu'un chou pancalier.
Et quand vos cousins seraient revenus, comment les auriez-vous
reçus ? Comme des traîtres ? Allons donc ; De Gaulle
plus tard a affirmé : "Ceux qui partent ne sont
pas des traîtres pour autant".
Comme des lâches ? Des déserteurs et du Roi et de
la France ? Deux mots alors confondus dans le même concept.
Un concept bien oublié aujourd'hui par ceux qui voudraient
identifier la Nation avec la Patrie.
Notre Patrie, que Renan définissait comme le prolongement
de la famille sur la terre de nos pères, est incapable
aujourd'hui d'intégrer tous ceux qui n'ont apporté
de la leur, pas même la poussière de leurs souliers.
Nos ancêtres pendant 10 ans au moins, sinon 13 pour beaucoup,
et même 25 pour quelques uns, ont eu le temps de réfléchir.
S'ils n'ont rien oublié, ils ont beaucoup appris, et ils
sont revenus chez eux avec la volonté d'y vivre en chrétiens
et en hommes d'honneur.
On pourrait comparer la fin de l'exode des Hébreux en Egypte
avec notre émigration (40 ans contre 10). Le Sinaï
contre les Allemagnes.
Dans les deux cas, après la révolte, après
le doute, un espoir fou, mais soutenu par la Foi, garanti par
la promesse divine dictée par Moïse, dictée
par Saint Rémi d'une vie heureuse dans la Patrie
: Canaan, terre d'Abraham, terre promise où coulent le
lait et le miel. La Patrie, Royaume de France, le plus beau Royaume
sous le ciel. À toi Josué, à toi Clovis et
à vos descendants, à eux seuls pour toujours...
et à jamais.
A-M
B.
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