Lorsque l'on
regarde la chronologie familiale on n'a pas de difficultés
à comprendre que la "châtelaine"
de Parençay ne manquait pas d'occupations : mariage en
1804, naissance de Constance en 1805, Henri en 1806, Caroline
en 1807 ...
Charles de Beaucorps nous raconte la vie du ménage : "La
douce intimité, la joyeuse cordialité qui régnaient
entre les habitants de Parençay ne leur faisaient pas regretter
les plaisirs mondains dont ils étaient privés ;
et puis on y recevait souvent des parents, des amis : les du Fay,
Auguste et Adolphe de Beaucorps, les Roumefort, Auguste de la
Rochejaquelein qui venait au moins une fois par an voir "sa
petite maman". Les arrivants trouvaient bon accueil et table
ouverte, un menu copieux mais sans aucune recherche, ni élégance.
On était souvent 18 ou 20 à table; le maître
de maison tenait son rôle avec beaucoup de distinction et
de gaieté.
Monsieur de Beaucorps était d'une grande piété.
Il commençait ordinairement sa journée en allant
à pied par des chemins affreux entendre la messe à
Bernay ; il y communiait plusieurs fois par semaine. Il aimait
la lecture et son passe-temps favori était de se livrer
à des calculs de mathématique et d'algèbre.
Sa femme avait aussi une piété éclairée
et agissante. Comme elle ne pouvait, en raison de l'éloignement
aller souvent à l'église, son mari avait demandé
à l'évêque de la Rochelle, Monseigneur Villecour,
la permission d'avoir une chapelle à Parençay ;
il refusa ce qu'on lui pardonne difficilement. L'exercice de la
charité tenait une grande place dans son existence".
Pour Anne c'était un effort d'aller jusqu'à Bernay
(2km) vu que sa vie journalière était totalement
accaparée par les enfants et la domesticité, d'autant
plus qu'elle avait les ouvriers agricoles à nourrir. Mais
lorsque cela était nécessaire elle n'hésitait
pas à laisser à d'autres les soucis ménagers
et à faire ce qui était nécessaire. La première
occasion se présenta en 1806. Elle apprit la mesure de
proscription qui frappa sa tante Anne-Henriette et décida
d'agir.
Nous avons déjà vu précédemment que
le Concordat n'avait pas été universellement admis.
Les plus enragés contre étaient les prêtres
apostats : Talleyrand et Fouché... et l'on sait la puissance
qu'ils représentaient sous l'Empire. Etait également
opposé le clergé assermenté comme Grégoire,
évêque du Loir-et-Cher.
N'oublions pas le rôle important que joua dans la négociation
l'Abbé Bernier qui avait joué un rôle si important
dans les guerres de Vendée.
Mais si cet accord déplaît aux francs-maçons,
aux militaires, aux prêtres qui ont changé de camp...
il déplaît aussi à une fraction des fidèles
catholiques.
Le changement était en effet dur à admettre : voir
l'Usurpateur chargé de la nomination des évêques
pouvait rappeler à certains la Constitution Civile du Clergé.
Comme dans tout traité de ce type il y a négociation
à base de concessions. On conçoit que la personnalité
très entière de Anne-Henriette ne les ait pas admises.
Lorsque l'on feuillette la liste des grands dignitaires de l'Eglise
après le Concordat on trouve le Cardinal Cambacérès
frère du conventionnel. Au début du Concordat on
obligea les prêtres à marier à l'église
des divorcés... La paix religieuse a été
acquise à ce prix mais on conçoit que tous ne soient
pas prêts à payer ce prix ! Pour comble d'ironie
le Clergé dut prêter un serment public en 1803, ce
qui rappelait trop 1791. L'évêque de la Rochelle,
Monseigneur de Coucy refusa ce serment et fut imité et
suivi par une bonne proportion de ses curés mais pas par
celui de Saint-Aubin qui prêta serment le 6 août 1804.
Mademoiselle de la Rochejaquelein préféra suivre
le curé de Boismé comme le firent les religieuses
de Saint-Aubin. L'insoumission de Anne-Henriette n'était
pas seulement intérieure, elle était aussi militante.
L'un des meilleurs historiens de la Vendée militaire, l'Abbé
Auguste Billaud, a consacré sa thèse de doctorat
à "la Petite Eglise dans la Vendée et les
Deux-Sèvres 1800/1830". Petit-fils d'une dissidente
il avait hérité de toute la tradition orale de "la
Petite Eglise". Il a donc pu étudier ce drame
en connaissant les deux faces du problème. On ne peut s'empêcher
de faire des rapprochements avec des événements
récents : l'Eglise Concordataire est pauvre puisque le
gouvernement ne paye que les curés et les évêques
; de plus elle paye très mal et irrégulièrement
; cette église est âgée car il n'y a pratiquement
pas eu d'ordinations depuis 1791 et beaucoup ont été
massacrés... ou se sont mariés. La moyenne d'âge
est de l'ordre de 50 ans ce qui pour l'époque est très
élevé. Dans chaque diocèse il y a chaque
année 10 à 20 décès pour seulement
une ou deux ordinations! Enfin cette église est divisée
puisque sous l'Empire elle rassemble les anciens jureurs et les
insermentés.
Le serment des prêtres s'effectue devant le sous-préfet
! Le petit peuple est évidemment très réservé
en face de cette mascarade mais chacun se console en se disant
que c'est une amélioration sur ce qui se passait dix ans
auparavant. Le trio (Napoléon, Fouché, Portalis)
qui dicte ses volontés à l'Eglise Concordataire
est en litige continuel avec le Nonce. Les chrétiens de
tradition que sont les vendéens sentent bien que tous ces
compromis, disont plutôt ces compromissions, ont dépassé
les limites du raisonnable: "On nous a changé la religion
" murmure-t-on. C'est la raison pour laquelle les vendéens
tolèrent les prêtres concordataires sans les aider
matériellement. Rappelons enfin pour clore la présentation
de ce problème qui jouera un rôle si important dans
la famille la Rochejaquelein que parmi les facteurs essentiels
de décision des curés l'exemple donné par
les évêques fut très important : le Choletais
suivit en quasi totalité son évêque, Monseigneur
Montaut des Iles, vers le Concordat tandis que le plus gros des
effectifs de "la petite Eglise" se retrouva dans
le diocèse confié à Monseigneur Coucy.
Un autre écrivain des guerres de Vendée, Emile Gabory
a écrit sur ce drame des lignes qui semblent bien résumer
le problème:
"Leurs apôtres se recrutèrent dans les régions
les plus élevées, les plus inattaquables du clergé
catholique... mais leur esprit durci par la lutte, desséché
par la souffrance ne voulut pas comprendre, lorsque la liberté
refleurit, qu'après de si violents bouleversements tout
un monde s'était écroulé, entraînant
des fragments énormes de l'édifice façonné
par les siècles, des accords nouveaux, des changements
de direction s'imposaient. Jusque dans ses détails infimes
ils voulaient le maintien impossible d'un ordre des choses à
jamais renversé." Mais ce fut un événement
extérieur au problème religieux qui vint faire exploser
le fragile équilibre. A Courlay, des jeunes refusant la
conscription attaquent des gendarmes qui emmènent deux
de leurs collègues et tuent deux des trois gendarmes le
28 janvier 1806. Cela conduit le préfet Dupin (Du Pain
comme l'écrira Anne Henriette) à ordonner la déportation
hors de la Vendée de six suspects dont Jagot, régisseur
au château de Clisson et Mademoiselle de la Rochejaquelein.
Rappelons que cette dernière vivait de plus en plus à
Boismé chez sa belle-soeur qui était proche de ses
idées, le château de Clisson étant un fief
de "résistance".
Anne Henriette prévenue disparaît immédiatement
et pendant six semaines demeure introuvable à la police
impériale ; on finira par l'arrêter à Saint-Malo
du Bois où elle se cachait chez un menuisier. La sentence
de Dupin ne se fit pas attendre : Anne Henriette est condamnée
à être exilée à Grenoble. Elle y partit
accompagnée par les gendarmes à cheval.
Arrivée à Moulins, elle reçut un courrier
l'autorisant à retourner vers Limoges.
A Limoges, elle retrouva les soeurs de Saint Aubin qui y étaient
elles aussi exilées. Enfin le 12 août 1806, elle
reçut un laisser passer pour quitter Limoges et s'installa
le 5 septembre chez sa nièce Anne de Beaucorps à
Parençay. Henri de Beaucorps raconte "Mademoiselle
de la Rochejaquelein écrivit à sa nièce Anne
de Beaucorps pour lui annoncer cette nouvelle (sa proscription)
Madame de Beaucorps vint trouver le préfet et lui demanda
pour quel motif il s'était permis d'envoyer sa tante en
exil. Ma mère ajouta qu'elle ne faisait que du bien et
soignait les malades. Le préfet lui répondit: "Madame,
votre tante ne fait que trop de bien, c'est la raison pour laquelle
je l'éloigne de Saint-Aubin ". Madame de Beaucorps
sans répondre au préfet s'assied à son bureau
et prenant une plume elle se mit à écrire.
Le préfet fort surpris lui demanda ce qu'elle faisait.
Madame de Beaucorps lui répondit : Monsieur le préfet,
j'écris à l'Empereur pour lui rendre compte de votre
bon vouloir pour ma famille. L'Empereur répondit de sa
main, courrier par courrier en lui disant qu'il donnait des ordres
pour faire revenir Mademoiselle de la Rochejaquelein chez Madame
de Beaucorps. Elle y passa plusieurs années. "
Il est vraiment dommage que rien dans les archives ne raconte
les discussions qu'ont dû avoir le ménage de Charles
avec leur tante Anne Henriette. En effet la fidélité
de Charles à la ligne concordataire est certaine ; sur
les six enfants la Rochejaquelein encore vivants au XIXe siècle,
seule Lucie prit le parti religieux de sa tante ; par ailleurs
Charles avait rencontré le Pape Pie VI à Rome, ce
qui devait l'aider à adopter une position conciliante envers
la ligne concordataire.
Mais dans un ménage aussi tourné vers les problèmes
religieux que celui de Charles et Anne on n'imagine pas que ces
sujets n'aient pas été régulièrement
abordés. Alors on peut s'interroger : Anne Henriette adoptait-elle
les pratiques religieuses de ses hôtes ou était-elle
une fidèle du Père Doussin ? La Petite Eglise avait
ses gros bataillons en Vendée mais aussi des foyers très
vivants à la Rochelle et Fontenay ; or Parençay
n'est distant de ces deux villes que de 40 kms environ.
Le père Doussin finit par se fixer à Chagnolet,
à l'est de la Rochelle donc à 30 kms du domicile
des de Beaucorps, or c'est ce prêtre qui avait accompagné,
toujours son crucifix à la main, la "grande armée"
commandée par "Monsieur Henri". Alors on peut
rêver que Anne Henriette allait auprès de lui recueillir
les souvenirs de la Virée de Galerne et des exploits de
son illustre neveu.
Sur les rapports entre Charles et Anne Henriette on ne peut effectuer
que des suppositions qui correspondent sans doute avec les remarques
de l'Abbé Billaud : "La noblesse dans son ensemble
n'est pas dissidente mais elle sympathise avec les gens de la
"Petite Eglise"" et en ce qui concerne la Marquise
de la Rochejaquelein, il note "les questions religieuses
ne semblent pas la préoccuper. Le desservant de Boismé,
M. Joubert a toujours trouvé un refuge au château
de Clisson ". Il faut pourtant noter une nuance :
Sous l'Usurpateur le prêtre poursuivi est un ami que l'on
protège contre les persécuteurs détestés.
Après le retour de Louis XVIII, le prêtre qui s'obstine
à repousser le Concordat reconnu par le Roi reste l'ami
encore mais dont on blâme dans l'intimité l'entêtement.
Mais les problèmes religieux ne sont pas les seuls à
retenir l'attention du ménage. Anne a hérité
de ses parents une partie de la propriété de la
Durbelière ; elle céda cette part en 1807 à
son frère Auguste pour 120.000 frs. En contrepartie elle
acheta la terre du Fief, commune de Genouillé qui n'était
distante de leur domicile que d'une dizaine de kilomètres
et se trouvait encore plus proche des autres Fiefs de Beaucorps
: La Bastière, Annezay.
Cette terre avait appartenu à l'arrière grand-père
maternel de Anne : Gaspard de Gousse de la Roche Allard qui avait
été vice-amiral de la flotte royale ; c'est par
cette branche de la famille qu'avait été hérité
le Baconnois à Saint-Domingue... Le logis du Fief, qui
est à l'heure actuelle en excellent état de conservation,
est un bâtiment Renaissance avec, suivant l'habitude de
l'époque, un escalier dans une tour hexagonale accolée
au bâtiment principal ; l'exploitation agricole est contiguë
et couvrait du temps de Anne 50 à 60 ha.
Cette propriété n'avait pas été dévastée
pendant la Révolution comme l'avait été Parençay
; en conséquence les tableaux de famille et meubles servirent
à orner l'autre propriété qui servait de
résidence à la famille et se retrouvent près
de deux siècles plus tard chez les descendants d'Anne.
Georges de Beaucorps
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